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Se trouve À PARIS, Chez MM. TREUTTEL et WÜRTZ, Libraires, rue de Lille, n.° 17.
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VOYAGES A PEKING, MANILLE
ET
L'ILE DE FRANCE, FAITS Dans l'intervalle des-années 1784 à 1801,
Par M. DE GUIGNES,
Résident de France à la Chine, attaché au Ministère des Relations extérieures, Correspondant de la première et de la troisième Classe de l'Institut,
TOME TROISIÈME.
A PARIS, DE L'IMPRIMERIE IMPÉRIALE. M, DCCC. VIII.
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Cn 600
OBSERVATIONS
SUR
LES CHINOIS.
ARMÉE CHINOISE.
ss voyageurs sont généralement disposés à augmenter les forces , les richesses ou la popu- lation des pays qu'ils ont parcourus : persuadés que leurs récits en deviendront plus intéressans, ils adoptent volontiers tout ce qui peut leur donner une plus grande importance ; mais il faut peut-être s'en prendre moins encore à eux qu'à lavidité de la plupart des lecteurs pour tout ce qui est extraor- dinaire. Que l’on dise que les Chinois sont un peuple de sages , composé de trois cents “millions d'individus, régi par des lois douces et paternelles, dont le gouvernement jouit de deux milliars de revenu, a dix-huit cent mille sofdats à ses ordres; ces récits exagérés séduiront, exciteront l’enthou- siasme : qu’au contraire, un écrivain représente simplement la Chine telle qu’elle est, surpassant, ilest vraï, beaucoup d'autres États par son étendue TOME III. À
2 OBSERVATIONS
et par sa population , mais conservant toujours, sous jes mêmes rapports, une proportion à-peu- près exacte , l'imagination des lecteurs, souvent prévenue , se refroidira, et cet exposé véridique n'aura plus que peu d’attraits pour eux.
La vaste étendue de la Chine présente, sans doute, un aspect imposant ; mais, si l’on ne s’en tient point à un examen superficiel, on s'aperçoit facilement que ce n’est qu’un colosse dont tous les membres forment un ensemble énorme, et dont chaque partie, prise séparément , renferme de grands défauts.
C’est après avoir consulté plusieurs Chinois, c'est après avoir vu et examiné moi-même, que j'ai cru pouvoir différer de sentiment avec M. Barrow, et ne pas accorder comme jui dix-huit cent mille soldats à la Chine. Les Anglois , en voyant un grand nombre de soldats, ont dû croire que ces troupes appartenoient aux lieux où elles se trou- voient ; mais ils se sont trompés : elles venoient d’ailleurs, et n’étoient placées sur ja route que pour en imposer à l'ambassade. Quant aux états remis à M. Macartney, ils étoient exagérés par jes man- darins, qui n’ont cherché en cela qu’à lui donner une haute idée de leur puissance. Ce n’est donc pas M. Barrow que je réfute ; cet auteur a montré trop de connoissances dans les divers Voyages qu'il a publiés, pour que je me persuade que c’est
SUR LES CHINOIS. 3 son opinion qu’il nous donne ; mais il a fidèlement publié la note Chinoise, et c’est cette note dont je me propose de faire voir l'exagération. Nous avons été à Peking une année après M. Barrow « nous devions donc retrouver à-peu-près le même nombre de soldats répandu dans l'empire , si le compte donné aux Anglois avoit été exact ; mais ce que nous avons vu n’a servi qu'à nous prouver je contraire.
Nous ne rencontrâmes jamais sur Îles routes aucun corps de troupes, soit d'infanterie , soit de cavalerie. Nous trouvämes seulement une quaran- taine de soldats à l'entrée des villes du troisième ordre, deux cents et plus dans celles du second, et mille ou deux mille dans celles du premier rang. A Peking même, nous ne vimes que deux misé- rables corps-de-garde à ja porte du palais, quelques gardes de l’empereur dans les jardins de Yuen- ming-yuen, et un petit nombre de soldats le jour . de notre dernière audience. Une foule assez con- sidérable entouroit, il est vrai, Kien-long, lorsque nous lui 位 mes présentés la première fois; mais cette foule, de quoi étoit-elle composée ! de man- darins , d'officiers de fla cour, et d’une grande quantité de coulis, de valets et de cuisiniers du palais.
Si Ia Chine avoit ce nombre immense de troupes qu’on lui suppose , nous en aurions rencontré
À 2
4 OBSERVATIONS
pendant notre voyage. Nous avons passé, nous avons séjourné dans Îles mêmes lieux que les Anglois, cette quantité de soldats placés à dessein sur leur passage ne s'est point présentée devant nous ; chacun étoit retourné à son poste, et nous n'avons plus trouvé par-tout que le nombre qui y existe ordinairement.
M. Vanbraam, qui m'a toujours paru zélé ad- mirateur des Chinois, et dont je récit doit être nécessairement en leur faveur, confirme ce que Javance. Voici ce qu’il dit {a ): « Je n'ai jamais » vu de garde militaire auprès de l'empereur : il » n'y avoit pas même de corps-de-garde à la porte » du palais ; et il s’en faut bien qu’on voie une » petite armée dans ia capitale, car je n'ai ren- » contré dans toutes mes courses qu’un corps-de- > garde de dix soldats. Je nai pas été peu surpris » dé voir aussi peu de troupes, sur-tout d’après > ce que les Anglois avoient assuré que l'armée > étoit de dix-huit cent mille hommes. Jai cherché » vainement dans tout le voyage à en apercevoir » pour pouvoir admettre cette évaluation. Dans 2 les villes du premier et du second ordre, nous » avons trouvé jusqu’à deux cent cinquante mili- » taires ; et dans les villes du troisième, rarement » plus de la moitié de ce nombre. Ce calcul est
(a) Tome 1.7, page 257.
SUR LES CHINOIS. 9 > appuyé sur ce qu'on nous a montré toute ja » garnison. D’après cette base, prise d’une cir- » constance où l’on a dû chercher plutôt à grossir » qu’à diminuer cette montre de forces, on ne » peut supposer tout au plus que huit cent mille » hommes. »
Les missionnaires qui donnent à la Chine une population nombreuse, mais cependant beaucoup plus foible que celle rapportée par M. Barrow, et dont par conséquent l'opinion doit être d'un grand poids ; les missionnaires, dis-je, ne comptent que de six à huit cent mille hommes de troupes répan- dues dans tout cet empire. Le P. Rodriguez dit qu'il n’en existe que cinq cent quatre-vingt-quatorze mille. Un missionnaire très-éclairé, le P. Visdelou, ne compte que trente-six mille hommes d'infanterie dans chaque province, encore en réduit-il le nombre à trente mille, prétendant qu'il manque presque deux cents hommes sur mille. D’après ce calcul, en ajoutant aux treize provinces les deux portions du Kiang -nan celles du Hou-kouang /4), le Kan - sou et le Leao -tong, on aura dix - neuf provinces ; à trente mille hommes chacune , le total des soldats d'infanterie s'élevera à cinq cent soixante-dix mille. Si l’on suppose avec cela deux cent mille cavaliers , la masse totale des troupes
(a) Ces deux provinces sont chacune partagées en deux,
À 3
6 OBSERVATIONS sera alors de sept cent soixante-dix mille hommes.
En 1784, lors de l'affaire du canonnier Manillois qui fut étranglé /a), les Chinois employèrent plu- sieurs jours pour rassembler six à sept mille sol- dats : ce qui prouve que les troupes Chinoises ne sont pas aussi nombreuses qu'on le dit, et qu’elles ne sont pas réunies dans Îles capitales des provinces, mais réparties dans les corps-de-garde et les autres postes militaires.
Des Chinois m'ont assuré qu'il n’y avoit que vingt à vingt-cinq mille hommes de troupes par province. Le P. Le Comte /h) n’en met que quinze à vingt mille : suivant lui, il ny a en tout que cinq cent mille hommes effectifs.
Les troupes Tartares sont séparées des troupes Chinoises : les premières résident près de leur général, tandis que Îles secondes sont répandues dans les villes, dans les forts et dans les corps- de-garde de chaque province.
TROUPES TARTARES.
LE premier officier militaire est le Tsiang-kiun ; il commande immédiatement trois mille hommes, et a sous lui deux Tou-tong qui commandent chacun mille soldats. Le Tou-tong de fa gauche
(a) Voyez l'article du Commerce des Européens à la Chine. (tb) Tome II, page 65.
SUR LES CHINOIS. 7 est le premier, parce que chez les Tartares la gauche est la place d'honneur.
TROUPES CHINOISES.
LE premier officier militaire et celui qui com- mande toutes les troupes de ja province, est je Ty- tou; il a sous ses ordres immédiats cinq mille hom- mes , dont mille de cavalerie. II y a de plus un Tchong-kiun ou lieutenant général qui commande trois mille hommes , et six Tsong-ping qui com- mandent aussi chacun trois mille hommes.
RÉCAPITULATION.
T'artares,
19 Tsiang-kiun, à 3000 hommes... 57,000 hom. 38 Tou-tong ,a 1000...,........ 38,000.
Chinois.
19 Ty-tou, à 4000 hommes/a).... 76,000.
19 Tchong-kiun, à 3000.......,.. 57,000.
114 Tsong-ping, à 3000.........,.. 342,000.
À Peking......socscssosuse 15,000. Aux différens postes militaires dans
le Nord........ss cosososes 153000.
ToTAL................。6ooooo hom. Re
(a) Les mille cavaliers sont compris dans la répartition de la cavalerie, page 12, A 4
8 OBSERVATIONS
Répartition de ces Troupes.
19 Tsiang-kiun, à 3000 hommes... 57,000 hom.
33 Tou-tong, à 1000. sans 130000:
11 Tsong-tou, une ae de 1000.. 11,000.
15 Fou-yuen, une garde de 1000.. 15,000. 1299 Villes du troisième ordre, une
garde de SD. escorte ci 64,950. 211 Villes du second ordre , une garde CDs saluer 84,400. 179 Villes du premier ordre ,une garde de 1006. suivi sise 179,000. 1000 Corps -de-garde par province,à ” ET 95,000. Pense RE Re 15,000. Dans différens postes militaires.. 40,650. NOMBRE PAREIL...... . 600,000 hom. et
En portant l'infanterie à six cent mille hommes, je ne prétends pas dire qu’elle ne puisse souffrir aucune augmentation ; je parle d’après ce que j'ai remarqué, et tout me porte à croire que j'approche assez du vrai nombre des soldats de Ia Chine, d'autant plus qu’il s'accorde avec ce que disent plusieurs missionnaires qui ont voyagé dans cet empire.
Quant aux troupes de Peking il est dificile d'en assigner la quantité précise ; mais ce que j'en ai vu étoit si peu de chose, que je pense qu'elles sont loin d'atteindre le nombre de cent soixante
SUR LES CHINOIS. 9 mille hommes où certains auteurs les font monter. . Le P. du Halde dit (à l’article So/dats) que l'empereur en entretient dix-sept mille cent qua- rante-cinq. Le P. Magalhens avance positivement que la garde des portes du palais et de la ville ne consiste qu’en trois mille soldats, et que c’est par erreur et pour être mal informés, que les PP. Mar- tini et Sevedo ont avancé que la garde de chaque porte étoit de trois mille hommes, ces mission- naires ayant pris le tout pour une partie seule- ment. Le P. Le Comte assure que le nombre des soldats à Peking n’est pas aussi grand qu’il se l'étoit imaginé.
Il est vrai que ceux qui portent les troupes existant à Peking à cent soixante mille hommes, font entrer dans ce nombre les huit bannières sous lesquelles sont rangés tous les Tartares; mais il n'est pas certain que ces bannières y fassent leur séjour habituel, car il est reconnu que l'empereur en tire souvent des soldats pour les envoyer dans différens postes au dehors.
D'ailleurs, les écrivains diffèrent sur la quantité d'hommes enrôlés dans ces huit bannières. Suivant le P. Bourgeois, chacune en a trente mille ; ce qui donneroit deux cent quarante mille hommes : cal- cul invraisemblable, puisque tous les auteurs et le P. du Halde s'accordent à dire que chaque bannière est composée de cent Nurous de cent
TO OBSERVATIONS soldats chacun, ce qui ne donne que dix mille hommes. En adoptant donc ce dernier nombre , et par conséquent quatre-vingt mille pour les huit bannières, on est encore loin des cent soixante mille que lon suppose à Peking ; mais ce qui prouve encore mieux lerreur de ce compte, c’est que Kang-hy, allant à la poursuite du roïdes Eleuths, n'avoit avec lui que vingt mille soldats effectifs, outre un corps de troupes qu'il avoit envoyé d’un autre côté, et qui pouvoit porter l'armée entière à trente mille hommes. L'empereur même, avant de partir, avoit fait publier dans Peking , que tous ceux qui viendroient servir à l’armée à leurs frais, y se- roient bien reçus. Ce passage démontre évidemment que , soit à Peking soit dans Îles environs , les troupes ne sont pas aussi nombreuses qu’on je dit. Mais, si dans mon voyage j'ai vu peu d'infanterie, j'ai rencontré encore bien moins de cavalerie. Les Anglois conviennent eux-mêmes que rien ne les a portés à croire que la cavalerie CHinoïse pôt s'élever à huit cent mille hommes : ce nombre paroît pro- digieusement exagéré, lorsque fon considère que les chevaux ne sont pas communs à la Chine ; cé qui est assez croyable , puisqu'un bon cheval à Peking se vend de cinq à six cents livres et même plus. L'empereur possède /a), suivant Îles
{a) Du Halde, rome IIT, page 339.
SUR LES CHINOIS. IT missionnaires quifont été en Tartarie, deux cent trente haras , chacun de trois cents cavales, et poulains au-dessous de trois ans , et trente-deux haras de trois cents chevaux hongres ; ce qui ne feroit que neuf mille six cents chevaux hongres, nombre bien foible pour remonter les huit ban- nières : cependant il doit suffire et au-delà, puis- que les mêmes écrivains disent que les chevaux dont fempereur n’a pas besoin , sont donnés au tribunal directeur des postes et des soldats.
Voilà un état de chevaux qui diminue beaucoup ja cavalerie Chinoise ; et quand même on porteroit au double le nombre de ceux qui appartiennent à l'empereur, cela ne feroit pas une cavalerie for- midable. If est vrai qu'on doit tirer des chevaux de l'intérieur de Ia Chine ; maïs ce n’est qu'avec peine qu’on peut s'en procurer un certain nombre, à cause de ja disette des pâturages.
Un fait arrivé sous Kang-hy vient encore à l'appui de cette assertion. L'empereur ayant appris que ses soldats allant à la guerre ne trouvoient des chevaux qu’à un prix excessif, permit de prendre tous ceux qui seroient hors de Îa ville Tartare, en payant vingt taels [ 150 Jiv. ] pour un cheval gras, et douze taels [ 90 fiv.] pour un maigre. On enleva tous jes chevaux des particuliers, et même ceux des mandarins, qu’on força ainsi d'aller à pied. Ils sen plaignirent à Kang-hy qui défendit
12 OBSERVATIONS
de continuer, mais probablement lorsque tous les chevaux furent pris; car c’est-[à la méthode Chinoise. :
Etablissement et Répartition de la Cavalerie,
Pour le service de 1299 villes du troisième
ordre, à 20 cavaliers par ville....... 25,980 caval. Pour le service de 211 villes du second
ordre, à 100 cavaliers par ville... ... 21,100. Pour le service de 179 villes du premier .
ordre, à 350 cavaliers par ville...... 62,650. Dix-neuf T y-tou à 1000 cavalierschacun.. 19,000. Cinq cents corps-de-garde par province,
à $ cavaliers chaque............... 47,500. En adoptant le nombre des Tartarescom-
pris dans les huit bannières, on aura
80,000 soldats, dont il faut retirer
15,000 déjà portés pour Peking ; il res-
tera alors, soit dans les environs de la
capitale, soit près de la grande mu-
Here lise selaisassoases 01000:
TOTAL.:.241,230, ou pour faire
un nombre rond............. 242,000 caval.
Je,ne donne pas ce nombre comme absolument exact; mais il est certain que, dans tous jes lieux
.OU nous avons passé , nous avons vu de l'infan- terie et jamais de cavalerie ; et cela ne nous a pas
surpris , vu le petit nombre de chevaux que nous
‘avons aperçus dans notre voyage. Ces animaux
sont rares dans les provinces du sud; et s'ils le
SUR LES CHINOIS. 13 sont moins dans le nord, ils y sont cependant peu multipliés ; car en passant à Te-tchèou, ville du Chan-tong très-renommée pour ses thevaux, nous en vîmes de bons, il est vrai, mais en petit nombre.
Chaque fois que nous avons demandé des che- vaux, nous avons toujours éprouvé des difficultés de Ja part des mandarins , quoique ceux-ci ne soient pas embarrassés pour s'en procurer, car ils prennent ceux des particuliers. Dans le passage entre le Tchekiang et le Kiang-sy, les officiers de Ia ville eurent beaucoup de peine à compléter le nombre de chevaux nécessaire, et les Anglois y avoient éprouvé les mêmes embarras.
À la montagne de Mey-lin, qui sépare le Kiang- sy du Quang-tong, on nous donna des chevaux de la troupe : ces chevaux, qui sont entretenus par les soldats, sont fournis par le gouvernement, qui les change lorsqu'ils sont vieux. Si en temps de paix un cheval vient à mourir , le ‘soldat est obligé de le remplacer : je seul avantage qu'il a, c'est de gagner du temps, et d'épargner sur sa paye, qu'il continue de recevoir, de quoi en acheter un autre; mais cela ne peut durer que jusqu’à larevue.
Les chevaux ne sont pas beaux; ils sont de petite taille. Ceux même que nous vimes chez lempereur, n’avoient ni grâce ni maintien. Les Chinois font grand cas d'un cheval grand et bien
14 OBSERVATIONS
fait : il paroit que c’est une chose rare chez eux. Les mandarins de Peking qui vont ordinairement à cheval ; préfèrent les mulets , comme une mon- ture plus sûre, plus facile à nourrir et supportant mieux ja fatigue ; mais les mulets coûtent cher, et lon en voit peu.
En un mot, les chevaux ne sont pas aussi com- muns à ja Chine qu'en Europe, et je pense que porter le nombre des cavaliers à deux cent qua- rante-deux mille , c'est plutôt l’augmenter que le diminuer. Ainsi, le total des troupes Chinoises ne s’élevera qu'à huit cent quarante-deux mille hommes, dont six cent mille de pied et deux cent quarante-deux mille de cavalerie. Je ne parle ici que des troupes réglées, et non de celles qu’on peut lever dans certains cas. En effet, s’il s'agis- soit du nombre d'hommes en état de porter jes armes, il seroit bien plus considérable ; car l'on trouve dans des états dressés du temps de f’em- pereur Kang-hy, que l’on en comptoit alors cin- quante-huit millions.
Les mandarins ont compris dans les notes qu'ils ont remises à M. Macartney, non-seulement les soldats existans , mais encore ceux qui sont censés exister, et ceux qu’on peut ajouter dans certaines circonstances ; et en affectant de confondre ainsi les forces éventuelles avec les forces positives, ils ont voulu faire croire ja puissance militaire de ja
SUR LES CHINOIS. 15 Chine plus redoutable qu’elle ne l’est en effet. Mais après avoir parlé de l’armée Chinoise, il est nécessaire de considérer l'état de soldat en lui- même.
Comme ia Chine jouit d’une paix profonde , létat de soldat dans ce pays expose à peu de dangers ; il est même lucratif, et par conséquent recherché. Les soldats sont enrôlés dans les pro- vinces où ils sont nés, et attachés aux corps qui y résident. Ces corps ne changent jamais de gar- nison : le gouvernement pense que Foffcier et le soldat vivant ainsi auprès de leurs familles, et ne les perdant pas de vue, combattront avec plus de’ courage pour les défendre , si loccasion s'en présente. |
Les troupes reçoivent , chaque mois, leur paye, dans laquelle se trouvent compris leurs frais de nourriture.
Selon le P. du Halde, elle consiste, pour le fantassin, en trois taëls [ 22 liv. 10 sous]; et pour le cavalier, en six taëls [ 45 Liv. |;
Selon les missionnaires, elle consiste, pour le fantassin, en quatre taëls [ 30 liv. ] ; et pour le cavalier, en six taëls [ 45 Liv. |;
Selon M. Staunton, elle consiste , pour Île fan- tassin, en deux taëls [15 liv. |; et pour Îe cavalier, en quatre taëls [30 Liv. ] ;
Selon M. Barrow, elle consiste , pour lefantassin ,
16 OBSERVATIONS en deux taëls [15 liv. ] ; et pour le cavalier, en quatre taëls [ 30 liv. |.
On voit que ces auteurs l’'évaluent plus ou moins haut; mais il y a lieu de croire qu’elle est modique, puisqu'elle est réglée sur l'ancien tarif. D'après ce que m'ont dit les Chinois, celle de chaque fan- tassin est de trois taëls [ 22 liv. 10 sous | par mois, et celle des cavaliers, de quatre taëls ou 30 jiv., partie en vivres et partie en argent. M. Staunton porte ja paye du cavalier Tartare à 60 liv. par mois, et celle du fantassin de Ia même nation, à 18 liv., y compris les vivres ; mais M. Barrow ne fait point de distinction entre les Tartares et les Chinois.
Tous les soldats employés dans les corps-de- garde, sur les rivières, sur jes chemins et dans les autres lieux, ont, en outre, des terres qu’ils cul- tivent : les autres n'ontque leur solde ; mais comme ils ne sont pas toujours occupés , ils ont le temps d'exercer un métier quelconque.
Le logement des soldats est séparé des autres habitations ; chaque soldat a sa maison et un petit jardin où 这 vit avec sa famille.
En temps de guerre , outre sa paye ordinaire, il reçoit six mois d'avance , et le gouvernement donne à sa famille une partie de ja solde pour sa subsistance. |
Les Tartares sont mieux partagés ; Jeurs en-
fans naissent tous soldats, et reçoivent de bonne heure
mt" = 4
SUR LES CHINOIS. 17 heure fa demi-paye. Enrôlés sous huit bannières, ils possèdent jes terres qui y sont attachées ; mais n'en étant que Îles usufruitiers, ils ne peuvent en disposer qu’en faveur de quelqu'un de la même bannière. Il faut observer cependant que la plus grande partie de ces terres, dont ja totalité ne s'élève qu'à un peu plus d'un million darpens est possédée par les grandes familles : néanmoins Îes officiers Tartares ne sont pas riches, parce qu'ils dépensent beaucoup , et empruntent à de gros intérêts pour satisfaire à leur luxe et aux frais de leurs mariages ou des enterremens des personnes de leurs familles.
Le soldat est libre à la Chine, excepté dans le temps des exercices, qui ont lieu aux nouvelles lunes. À cette époque , les mandarins examinent les armes de chaque soldat, le font manœuvrer, et le punissent s'il manque en quelque chose. Les punitions consistent en coups de bambou si c’est un Chinois, et en coups de fouet si c’est un Tartare.
Je ne puis rien dire de positif sur ces exercices, car on ne permet pas aux étrangers d'approcher des lieux où ils se font. J'ai entendu la troupe faire un feu roulant assez bien soutenu ; mais jignore comment elle exécute cette manœuvre. On m'a dit que les soldats sont rangés sur plu- sieurs lignes assez espacées les unes des autres;
TOME 111. B
18 | OBSERVATIONS -
que la première ligne, après avoir fait sa décharge, passe à la queue et recharge son fusil, et que les autres lignes font successivement ja même opération.
Le port d'armes est défendu à la Chine; on ne peut paroître devant l'empereur avec une épée. Les soldats ne portent des sabres que lorsqu'ils sont en faction ; ceux qui sont chargés de faire la police ne se servent que de fouets.
Les soldats sont armés de sabres, d’épées , de piques, de fusils, d’arcs et de flèches.
M. Macartney /a) dit que le soldat Chinois porte l'épée du côté droit , la pointe en avant, et qu’il la tire du fourreau en mettant sa main droite en arrière. D’autres auteurs disent que l'épée est à gauche, et que le soldat ja tire en passant sa main derrière lui : on doit concevoir combien cette opé- ration est gênante. Les Chinois portent le sabre à gauche , [a pointe en avant en temps de paix, et la pointe en arrière en temps de guerre : c’est ce que j'ai vu.
L’habit du soldat /n.* 20, 21, 40) varie pour ja forme et la couleur ; il consiste ordinairement dans une casaque blanche ou jaune, brune ou bleue, bordée d’un ruban large et d'une couleur qui con- traste avec celle du fond de l'habit.
(a) Tome IV, page 64.
SUR LES CHINOIS. 19
Les soldats dans le Chan-tong et le Tchekiang
portent des espèces de cuirasses ou cottes de mailles , et des casques.
Les cuirasses sont composées de plusieurs pièces, de manière à garantir je corps sans en gêner les mouvemens ; elles sont faites de toile brune en dehors , et doublées de toile blanche et bleue. II ya entre le dessus et le dessous plusieurs doubles, et, de distance en distance, de petites pièces de tôle à travers lesquelles passe un clou de cuivre à tête ronde , qui est rivé en dessous sur un mor- ceau de cuir. Ces cuirasses peuvent résister aux flèches, mais non aux coups de fusil /n° 40).
Le’ casque est de fer battu et [uisant, surmonté d'une houpe rouge de poil de vache, attachée au bas d’un fer de lance ; les officiers portent en place une aigrette faite avec des bandes de peaux dont la finesse et ja qualité distinguent le grade. Le casque s'attache sous le menton avec des rubans: on met par derrière une pièce faite de la même matière que ja cuirasse, pour garantir je cou et les oreïlles. Le casque des fusiliers pèse deux livres quatre onces; celui des cavaliers est un peu plus lourd. Les soldats ne portent pas habituellement leurs casques, mais un simple bonnet.
La casaque des fusiliers diffère de celle des cava- liers ; elle est moins longue et n’a pas de cuissards. Les selles sont garnies de drap et fort élevées; jes
了 >
20 :- OBSERVATIONS étriers sont très-courts. Les Chinois ont mauvaise grâce à cheval. |
Le fusil est de fer battu, monté sur un fût de bois ; ja crosse est petite et presque pointue ; ja baguette est en fer ainsi que le bassinet, qui est recouvert avec un morceau de cuivre. J'ai vu beau- coup de fusils auxquels cette plaque étoit brisée, ce qui arrive souvent, parce qu’elle ne retombe pas sur le bassinet, mais tourne de côté et horizonta- lement. Chaque fois que le soldat veut tirer , ïl est obligé d'ouvrir auparavant le bassinet avec ja main ; ainsi, dans les mauvais temps, ïl doit lui être impossible de se servir de son fusil, puisque le bassinet reste découvert, et que par conséquent la poudre y est exposée au vent ou à la pluie. La mèche qui sert à mettre je feu au bassinet est insérée dans un morceau de fer garni d'un petit manche pour l'élever ou l'abaisser ; chaque soldat a plusieurs de ces mèches dans un petit sac de cuir attaché à son arme. A la plupart de ces fusils sont adaptés deux crocs sur lesquels on jes appuie pour tirer. La giberne est une espèce de poche de toile noire, peinte à l'huile, et qui sert à contenir les balles : les Chinois ont en outre un grand cornet de corne pour mettre leur poudre, et un autre petit pour celle qui sert à amorcer, et qui est ordinaïi- rement plus fine.
Le bouclier des soldats qui sont armés de sabres ,
SUR LES CHINOIS. 2t est fait de rotin; il peut avoir deux bons pieds de diamètre, et pèse de quatre à cinq livres : il y en a qui sont tout unis , d’autres ont des figures de tigres , d’autres encore ont une forme conique et sont garnis d'une houppe rouge au milieu.
Le carquois contient plusieurs rangs de flèches toutes de formes différentes ; les plus singulières sont celles dont le fer est armé de petits hameçons, et celles dont le fer est percé : cette dernière espèce sert à lancer des lettres chez l'ennemi, et à entre- tenir par ce moyen une correspondance avec les gens qu'on a gagnés.
La force de F'arc s’estime par le Dot ; on dit un arc de soixante ou de soixante-dix livres, c’est- à-dire, qu'il faut, pour le tendre , la même force qu’il faudroit pour lever un pareil poids. Les arcs les plus foibles pour l’armée , sont de cinquante livres ; le poids ordinaire est de quatre-vingts et même de cent livres ; il y en a fort peu au-dessus. L’arc, avant d’être tendu, fait le demi-cercle ; on je retourne dans le sens opposé pour le tendre : fa corde est retenue dans deux entailles, et s'appuie à chaque bout sur un morceau dos ou d'ivoire ; le anilieu où [a main tient l'arc, est plus gros et garni de cuir. Les Ghinois, lorsqu'ils tirent de l'arc, se penchent en avant et tendent le dos, ce qui leur donne très- mauvaise grâce : cette position, dans que le corps n’est pas d’aplomb, doit leur
B 3
22 OBSERVATIONS
ôter de ja force; cependant ils tirent bien. Les sol- dats portent au pouce un anneau de corne qui leur sert à retenir la corde de l'arc lorsqu'ils ajustent. Les officiers Tartares ont cet anneau en agate ; ils le conservent dans une boîte ronde qu’ils por- tent toujours suspendue à leur ceinture.
Tous les soldats sont rangés par compagnies de vingt-cinq hommes; il y a un étendard triangulaire par chaque compagnie, outre un petit guidon de ja même forme par cinq hommes , et un autre petit pavillon long et carré qui est à la queue de la compagnie; le guidon et le petit pavillon s’at- tachent au dos des soldats qui sont chargés de jes porter /n.* 20et 21), Ces pavillons et l'étendard sont de différentes couleurs.
Les Tartares sont distingués par des bannières jaunes, blanches, rouges et bleues, ou jaunes à franges rouges, blanches à franges rouges, rouges à franges blanches, et bleues à franges rouges ; Ja couleur verte est celle des troupes Chinoises. L’é- tendard peut avoir près de six pieds de longueur : je me rappelle en avoir vu un en passant un jour devant un corps-de-garde ; il étoit vert et avoit au milieu le monde peint suivant ja manière des (hi- nois. Outre ces étendards qui distinguent chaque compagnie , tous les officiers et soldats ont une petite bande de soie attachée au dos de ja cuirasse ; cette bande est de la couleur de a compagnie à
SUR LES CHINOIS. 23 laquelle le militaire appartient, et porte écrits le nom du soldat, celui de sa compagnie, et, si c’est un officier, sa qualité ainsi que son grade.
Les tentes des soldats sont faites de grosse toile blanche doublée de toile bleue ; elles ont cinq pieds et demi de hauteur , sur quatorze de lon- gueur ; les deux extrémités s'ouvrent et se replient comme Îes battans d’une porte. Ces tentes repo- sent sur un châssis de bois et sont retenues tout autour par des cordes et des piquets. Chacune sert pour loger cinq soldats et les deux hommes qui sont chargés de Ia dresser et de lemballer (n. 42).
Les tentes que nous avons vues à Peking, ont une autre construction; elles sont rondes et cou- vertes d’un gros feûtre gris /{ n° 42); mais ces tentes, bonnes pour les Tartares, sont fort incom- modes pour des Européens ; ïl y fait très-chaud, la poussière y est très-considérable, et ïl n’y a aucun siége pour s'asseoir,
| Les provinces du Nord sont celles qui fournis- sent le plus de soldats. Pour être reçu, il faut donner des preuves d'adresse et de force, On croira peut-être, d'après cela, que les troupes sont excel- lentes; mais lorsqu'on les a vues de près, on change bientôt d'opinion. J'avouerai cependant que j'ai rencontré dans la province de Chan-tong ,et en plusieurs endroits, de très-beaux hommes ; ils
B 4
24 OBSERVATIONS
avoient bonne mine , un air courageux, et je suis persuadé qu’on en pourroit faire de très-bons soldats.
L'accoutrement des troupes Chinoïses n’est pas propre à leur donner un air martial. Que penser, en effet, de soldats qui, comme le dit avec raison M. Barrow , se servent d’éventails! J'ai vu moi- même des soldats en faction et rangés en ligne, tenir jeur fusil d’une main et un parapluie de Jautre. D'ailleurs l'usage qui les oblige à se mettre à genoux devant les mandarins , ne doit pas eur inspirer des sentimens très-élevés { n° 21 ). Il est vrai que cet usage est si ancien et si général, qu'il devient moins répugnant pour le soldat; ce- pendant il établit une trop grande différence entre un homme et un autre, et cette différence avilit. La subordination est nécessaire, maïs elle ne de- mande pas la dégradation.
Les troupes Chinoises sont bonnes dans une revue, mais peu propres dans une affaire ; elles jont prouvé dans leurs guerres avec les Tartares : ceux-ci en font si peu de cas, qu’ils disent en pro- verbe , que /e hennissement d'un cheval Tartare met en fuite toute la cavalerie Chinoise,
Les Tartares ne se servent ordinairement que darcs et de flèches : leur cavalerie est prompte et légère ; elle donne vivement au premier choc, mais elle n’est pas en état de soutenir long-temps
SUR LES CHINOIS. 25 quand elle est chargée en bon ordre et poussée vigoureusement.
En général, si les troupes Chinoïses et Tartares ont réussi dans les guerres qu’elles ont eues avec leurs voisins, c’est qu’elles n’avoient à se battre que contre des gens peu aguerris et beaucoup moins nombreux qu'elles ; encore ont-elles été souvent vaincues. En un mot, des soldats de cette nation opposés à des soldats Européens, ne tien- droient pas long-temps.
FORTIFICATION,
Les Chinois imitent les peuples de l'antiquité dans fa manière de fortifier les villes ; ils les en- tourent de murailles le plus souvent unies , mais quelquefois flanquées de tours carrées et entourées de fossés /a). N'ayant pas à craindre des ennemis plus habiles queux dans l'art de Ia défense et de l'attaque des places, ils se contentent de simples remparts, et ne se doutent nullement qu’ils seroient insuffisans contre des forces plus redoutables. Peu versés dans l'emploi de Partillerie, quoiïqu'ils atent depuis long-temps ja connoissance du canon, ils en font peu d'usage pour la défense des places; et s'ils s’en servoient dans certaines forteresses , les murs en sont si mal construits, qu'ils s’'écrouleroient
(a) Je n'ai vu qu'une seule ville sans murailles,
26 OBSERVATIONS d'eux-mêmes par ja seule commotion, après quel- ques décharges. | | L’enceinte des villes est tantôt ronde et tantôt carrée ; elle suit les inégalités du sol et s'étend fort loin. La plus grande partie de l’espace compris entre les murs, est occupée non par des maisons, mais par des jardins et des champs. Le but que l'on s'est proposé en donnant ainsi une grande extension aux remparts, paroît avoir été non-seu- lement de mettre les habitans à l'abri du danger, mais encore de renfermer je terrain nécessaire pour produire de quoî les nourrir pendant un siége. Je dois cependant observer que les voyageurs n'ayant pas toujours le temps suffisant pour examiner, sont exposés à se tromper dans je jugement qu'ils por- tent, d’après un premier coup d'œil, sur l'étendue des villes qu'ils ont vues ou traversées ; souvent ils ja supposent plus considérable qu’elle ne l’est en effet : c'est ce qui nous est arrivé, par exemple, à Yang-tcheou-fou, ville qui nous avoit d’abord paru très-grande, parce que nous avions mis beau- coup de temps à prolonger Ja moitié de son en- ceinte en suivant le canal, tandis qu’elle n'a pas une demi-lieue de large prise en tout sens. C'est, sans doute, par une erreur semblable que les mis- sionnaires ont dit que ia ville de Sou-tcheou -fou occupoit un vaste emplacement, puisqu'elle est plus petite que Yang-tcheou-fou.
SUR LES CHINOIS, 27
Dans la fortification Chinoise, les remparts do- minent toutes les maisons; ils sont faits avec la terre qu'on a retirée en creusant le fossé, et sont revêtus de pierres ou de briques : dans ce dernier cas , les briques ont pour fondement deux ou trois assises de pierres. La hauteur ordinaire des murs est de vingt-cinq à trente pieds ; leur épaisseur est de vingt à vingt-cinq pieds par en bas, sur dix à douze par en haut ; ils vont en talus, maïs ja pente est plus rapide en dedans que du côté de la campagne. Du côté de la place, les briques rentrent à chaque rangée, au lieu qu’en dehors elles sont placées les unes sur les autres sans saillie apparente des rangées inférieures. JJ arrive sou- vent que ce revêtement s'écroule, et qu'il ne reste plus que le mur en terre : c'est ce que j'ai vu à Sin-tching-hien. On monte sur les remparts par des rampes prolongées et assez douces pour que les mandarins puissent y arriver à cheval.
La partie à laquelle les Chinois ont donné le plus d'attention , est la porte; on en peut distin- guer de trois espèces, la porte simple, la porte double et la porte triple /n’ 44, 45). Dans la porte simple, l'ouverture ou entrée est droite et, pratiquée directement dans le mur principal. Dans ja porte double, louverture est la même, mais il y à en avant un grand terrain environné d'une muraille faisant le demi - cercle , et dans
28 OBSERVATIONS
laquelle on a pratiqué une autre ouverture. Cet espace réservé entre les deux portes, sert à ras- sembler la troupe ; on y voit ordinairement un massif de pierres sur lequel sont placées à plat de petites pièces de canon : cette seconde porte est de deux espèces : dans la première , louverture extérieure n’est pas en face de l’autre, mais sur le côté ; et dans la seconde, les deux ouvertures sont directement vis-à-vis l’une de Fautre : la porte appelée Kouang-ning-men de la ville Chinoise à Peking , et la porte septentrionale de Hang-tcheou- fou , sont de la seconde espèce. La porte triple est très-rare, et nous n’en avons vu qu’une seule à Kin-tcheou, ville du Chan-tong. Dans cette cons- truction , la première et la’ seconde ouverture sont placées comme dans la porte double de première espèce ; mais après avoir passé ja seconde ou- verture , il faut suivre pendant quelque temps le rempart extérieur avant d'arriver à la troisième, qui se trouve placée dans l'alignement de fa pre- mière {n° 45). L’esplanade à Kin-tcheou n’est pas vide comme dans les autres villes, mais elle est remplie par des casernes.
Les portes des villes n'ont point dornemens ; elles sont terminées en voûtes et pratiquées dans l'épaisseur des murs. Les vantaux en sont de bois; on les tient fermés depuis le soleil couchant jus- qu'au matin. On bâtit assez généralement des
SUR LES CHINOIS. 29 pavillons au-dessus de ces portes: ceux qu’on voit à Peking sont très-beaux et font un bel eflet (nf? get 10).
Le haut des murailles des villes est terminé par des créneaux dans lesquels on a pratiqué des meur- trières. Je ne puis assurer si les remparts sont garnis d'artillerie; mais dans les places où j'ai pu y monter, je n’en ai pas aperçu une seule pièce : j'ai vu seulement, dans certaines villes, quelques canons placés au-dessus des portes ou dans jen- ceinte qui les précède ; et je me rappelle qu’à Quanton, étant une fois monté dans une maison située auprès des murailles, je distinguai dans un petit pavillon un canon sans affût, jeté par terre et abandonné : j'avois déjà franchi les créneaux pour l'examiner , lorsqu'un soldat vint m'en empècher, et me força de me retirer.
Outre les fortifications ordinaires des villes, on construit en dehors de petites forteresses ou sur des hauteurs, ou dans de petites îles, ou au confluent des fleuves. On les garnit de canons montés sur des massifs de pierres placés non sur le haut des murailles, mais en bas sur fe terre-plein , en avant d’embrasures pratiquées dans l'épaisseur du mur, et qu'on tient fermées avec des portes de bois sur lesquelles sont peintes des figures de tigres. Les mandarins visitent de temps en temps ces forte- resses : tous les soldats sont alors à leur poste et
30 OBSERVATIONS
font une décharge générale. Les forts bâtis à {x Bouche du Tigre, sur la rivière de Quanton, ne pourroient soutenir le feu d'une moyenne frégate : en un mot, les forts et les remparts des villes Chi- noises ne sont nullement en état de résister à Par- tillerie Européenne.
- Nous avons rencontré dans notre voyage des places purement militaires ; elles ne diffèrent en rien des villes fortifiées , et servent de défense au pays ou de garnison. Les Chinois ont élevé pareil- lement de petits forts sur le haut des montagnes et construit des murs dans certains passages dan- gereux : nous en avons vu en quittant le Tche- kiang pour entrer dans le Kiang-sy; mais ces forts et ces murs, quoique garnis de soldats, ne sont bons, quant à leur construction, que pour arrêter les voleurs. On en peut dire autant des corps-de- garde placés de distance en distance le long des chemins ou des grandes rivières /a), et dont l'éta- blissement , quoique sans contredit une des meil- leures institutions des Chinois, doit cependant être plutôt rapporté à ja seule police des routes, qu’envisagé sous le point de vue militaire.
(a) Vayez au chapitre qui traite des chemins l'article des corps- de-garde, some I], page 217.
SUR LES CHINOIS. 31
所 ARTILLERIE; POUDRE À CANON.
LEs Chinois connoissoient fa poudre à canon long-temps avant qu’elle fût connue des Euro- péens ; mais ils n'en peuvent nommer [inven- teur /a ). Les missionnaires disent (b) que, depuis lère Chrétienne jusqu’au seizième siècle, il y eut peu de guerriers à ja Chine qui entendissent l'usage des armes à feu, et que Kong-ming est presque le seul qui s’en soit servi, vers lan 200 de J.C. Cependant cette assertion est contredite par l'ob- servation d'un Chinoïs que lon doit supposer au fait de cette matière. On rapporte que l'empereur Hoay-tsong ayant fait assembler son conseil en 1640, un mandarin proposa de s'adresser au P. Adam Schaal pour fondre des canons, mais que Leou-tcheou s’y opposa, en disant:« Avant les
(a) On a dit que l'invention de la poudre à canon n'eut lieu en Europe qu'en 1354, cinquante-neuf ans après le retour de Marco Polo, et on l'attribue généralement à Schwartz, moine Allemand. Cependant Bacon avoit parlé de la poudre soixante ans auparavant; ct en 1342, les Mores ou Arabes aségés dans Algésiras par Alphonse XI, roi de Castille, s'étoient servis d'espèces de canons pour se défendre , ce qui mdique que l'usage de {a poudre a été apporté de l'Asie , et qu'il y étoit déjà si ancien dans le X1V.° siècle, que les Asiatiques même n'en con- noissoient pas l'origine. En 1346, les Anglois se servirent de canons à la bataille de Crécy, perdue par Philippe VI.
(8) Tome VIII, page }jr.
32 OBSERVATIONS
» Tang et les Song /4) on navoit jamais entendu » parler d'armes à feu, et depuis qu'on's’en sert cela » va mal». L'observation de cetofficier prouve qu’on ne connoissoit pas à la Chine l'usage des armes à feu avant les années 619 et 960 de J. C., et qu’elles ne furent ihventées que postérieurement à cette époque. Les armes à feu, dans l’ancien temps, se réduisoient à des lances de feu, dont les Tun- quinois et les Cochinchinoïis font encore usage.
. Dans l'année 1000 de J. C. /b), Tang-fou offrit à l'empereur Tchin-tsong des flèches, des globes et des chausses-trapes à feu.
Dans la même année, Leou-yeou présenta des Pao de main. |
En 1161, sous l'empereur Kao-tsong, la flotte des Kin partit de Tsien-tsin-ouey, à trente lieues à l'est de Peking, pour se diriger vers [a ville de Lin-ngan /c), actuellement Hang-tcheou-fou. Les Chinois employèrent dans cette occasion des Pao à feu, et détruisirent une centaine des vais- seaux des Tartares.
L’historien des Kin, en parlant de ce combat, appellé Ho-pao / Pao à feu ] les machines dont se servirent les Chinois, tandis que ceux-ci disent
(a) Les Tang ont commencé à régner en 619, et les Song cn 960.
(b) Le P. Visdelou.
(ec) C'est la même que Marco Polo nomme Kin-tsay.
positivement
SUR LES CHINOIS. positivement que cttoient des flèches à feu. 1{ résulte donc que Pao ne veut pas dire des canons, mais signifie une baliste ou machine à lancer des pierres, explication conforme à la Composition du mot 上 了 ao , qui porte à Ja clef le Caractère Che [pierre ], joint à celui de Pao l'envelopper ].
En 1232, Kay-fong-fou, Capitale des Kin dans le Honan, étant assiégée par les Mongoux et les Chinois, les Kin se servirent de canons appelés Tchin-tien-louy / tonnerre faisant trembler le ciel ], et consistant dans un tube de fer creux qu'on rem- plissoit de poudre. Ces tubes en éclatant imitoient le bruit du tonnerre, et Ie feu qu'ils jetoient rem- plissoit un demi-journal de terre.
En 1273, les Mongoux forcèrent Ja ville de Siang-yang-fou avec des canons. L'ouvrage Chi- nois , intitulé Hoang-tchao-ly-ky-tou-che {Des- cription de tout ce qui est à 1 usage de l'empereur Ja sexplique en ces termes à l'article des canons :
« En examinant avec soin lhistoire, on convient » unanimement que ce qu’on appeloit autrefois > Pao, netoit qu'une machine à lancer des Pierres. > On se servit pour fa première fois de Sy-yo- > Pao lorsqu'on assiégea les Kin dans la ville de
> Tsay-tcheou /a); mais depuis on les employa > rarement » .
tm nt
(a) Le siége de Tsay-tcheou est de l'année 1233 à 1234; le TOME 111. C
34 OBSERVATIONS
L'auteur Chinois dont je viens de rapporter le passage, en parlant du siége de Tsay-tcheou , dit qu'on s'y servit de Sy-yo-pao, ou Pao de la partie de d'ouest, Par les mots Sy-yo, cet écrivain veut-if faire entendre que les Pao venoient de l'ouest, ou avoient été inventés dans l’ouest, ou bien qu'ils res- sembloient à ceux des Européens ? C’est ce qu'il est impossible d'écfaircir , car 这 ne s'explique pas davantage, et ne désigne aucune époque. Cela est d'autant plus 全 cheux que cet ouvrage a été fait pour Kien-long et imprimé par ses ordres.
Le P. de Mailla,-en parlant du siége de Kay- fong-fou en 1232, dit que les Mongoux se ser- virent de tubes pour lancer des flèches, de Pao pour lancer des pierres, et de Ho-pa0 pour incen- dier ; mais le mot Pao étant employé indifférem- ment par les Chinois, on ne peut en fixer la vraie signification , ni dire s’il exprime positivement un canon. Il paroît qu'à la même époque les Mongoux avoient une espèce de canon formé de côtes de bambou réunies ensemble et attachées fortement
roi des Kin, appelé Ngay-+y ou Ninkiassou, y périt. Les Kin ou Tartares Niutche qui avoient commencé à régner en 5118, sont les ancêtres des empereurs Tartares Mantchcoux actuellement régnant à la Chine. Ces Kin habitoient les pays situés au nord de la Corée avant qu'ils sc fussent emparés de plusieurs pro- vinces de l'empire Chinois, dont ils furent chassés par les Mon- goux ou Mogols, qui détruisirent ensuite les Song, et fon- dérent, en 1360, la dynastie des Yuen.
SUR LES CHINOTS. 35 avec des cordes. Cette machine, qui s’appeloit Tsuan-tchou , dut nécessairement donner l'idée aux Chinois den faire sur ce modèle , en employant, à {a place du bambou, des barres de fer qu'ils réu- hirent avec des cercles du même métal : aussi tels furent leurs premiers canons. Il est à croire que par fa suite ils en fabriquèrent de plus solides ; mais quelle que soit la forme qu'ils adoptèrent, il est certain, ainsi que le dit l'historien Chinois, qu'on en abandonna l'usage, faute de bien con- noître lés règles propres à leur construction.
Le P. Heralde, Espagnol, qui entra à fa Chine en 1577, y trouva de l'artillerie, mais petite, mal faite et fort ancienne. Les missionnaires qui Île suivirent, conviennent d'avoir vu quelques bom- bardes à Nanking ; mais ils ajoutent que les Chinois ne savoient pas s’en servir. Une preuvé convain- cante de cette inexpérience , c'est que Îles Portu- gais lorsqu'ils présentèrent en 1621 des canons à l'empereur, eurent la précaution d'envoyer en même temps des gens en état de [es manœuvrer. Ces canons, après avoir été essayés à Peking, furent envoyés à la frontière pour être placés sur la grande muraille.
Une grande partie des canons qui existent à la Chine, ont été fondus par les PP. Adam 9chaaf . et Verbiest en 1636 et 1681, ou d’après leurs instructions ; mais Ces savans missionnaires n'ont
C 2
36 | OBSERVATIONS pu, malgré les peines qu'ils se sont données, parvenir à faire des Chinois d'habiles artilleurs.
Tous les canons que j'ai vus à ja Chine étoient sans affûts et posés sur des blocs de pierre. Je n'ai vu qu'à Hang-tcheou-fou deux canons montés sur des affüts; mais ces affûts paroissoient peu solides. Les canons qui sont au bas de ja tour du Lion , en descendant la rivière de Quanton, ont une lumière fort large ; les boulets sont de terre durcie et séchée. -
Il est démontré que les Chinois ont connu très-anciennement les armes à feu, et sur-tout [a poudre à canon; mais soit qu'ils aient inventé cette dernière composition , soit qu'ils en ajent reçu l'invention d’ailleurs, il paroît qu'ils s'en servent plus habilement dans les feux d'artifice que dans la guerre, car leur poudre à canon est d’une qua- lité très-inférieure. Ils font entrer dans sa fabrica- tion les mêmes matières que nous employons en Europe ; le salpêtre , le soufre et le charbon. Ce. dernier est fait de béringène , de calebasse, ou indifféremment de tout autre bois, pourvu qu'il ne soit ni huileux ni résineux.
Les missionnaires donnent deux recettes em- ployées par les Chinois pour faire ja poudre à canon. Dans la première, ils font entrer trois livres de charbon et autant de soufre sur huit livres de salpètre ; dans ja seconde, ce n’est plus qu'une
SUR LES CHINOIS. 37 livre de charbon et autant de soufre sur cinq livres de salpètre. M. Barrow dit que lon met une livre de charbon et autant de soufre sur deux livres de nitre.
Les Chinois, pour réduire la pâte en grains, ja battent avec des: bâtonnets. Au reste , il n’y a pas à la Chine de manufacture de poudre à canon ; chaque particulier peut en fabriquer.
PEKING.
KUBLAY-KHAN , fils de Tuly, et petit-fils de Genghiz-khan , fondateur , sous le nom de Chy- tsou, de ia dynastie des Yuen fit jeter, en 1267 après J. C., les fondemens de ja ville de Peking, à deux lieues au nord-est de l'ancienne ville de Yen-king , bâtie en 1111 avant J.C., et qui venoit d'être entièrement ruinée. II donna à Ia nouvelle ville le nom de Ta-tou / grande cour } : son véritable nom est Chun-tien-fou , mais elle est plus connue sous celui de Peking, qui signifie Fa cour du nord].
Les Yuen continuèrent dhabiter Peking jusqu’à Ja destruction de feur dynastie ,en 1 368, par Hong- vou, fondateur des Ming. Cet empereur établit sa cour à Nanking ; mais son fils Yong-lo fa reporta, en 1403, dans la première de ces villes, d'où elle n'est plus sortie depuis. Peking n’étoit d'abord com- posé que d’une seule ville; mais Kia-tsing,en1$44,
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38 OBSERVATIONS
en fit bâtir une seconde, qui est appelée mainte- nant ville Chinéise , la première étant plus parti- culièrement affectée aux Tartares, qui depuis 1644 se sont emparés du trône.
Peking est situé par les 39° 54’ 30" de latitude nord, et par les 114° 8° 45" de Jongitude à l'est de Paris ; ainsi la différence en heures est de 7" 36° 23"; c'est-à-dire, qu'il est à Peking, 7" 36 23" du soir, lorsqu'il est midi à Paris.
La ville Tartare a une lieue du nord au sud, et autant de l'est à l’ouest. La ville Chinoise n’a qu'une demi-lieue du nord au sud, et un peu plus d'une lieue de l’est à l'ouest. |
La ville Tartare a neuf portes; aussi le gouver- neur de Peking prend-il le titre de gouverneur des neuf portes. La ville Chinoïse n’en a que sept. On donne douze faubourgs à Peking; je n’en par- ierai pas, parce que je n’en ai traversé que deux, Fun situé à l’ouest de ja ville Chinoise , en avant de Ia porte Kuang-ning-men /a), et l'autre à ja sortie de ja ville Tartare, du côté des jardins de Tempereur , en dehors de la porte nommée Sy- tching-men. |
M. Staunton dit que ce dernier faubourg est considérable , et qu’il a employé vingt minutes pour le traverser ; il y a erreur, nous n'avons mis
(a) M. Vanbraam l'appelle, par erreur, Tsay-ping-
SUR LES CHINOIS. 39 que trois minutes , car ce faubourg est petit, et M. Barrow en convient.
M. Staunton prétend que les remparts de Pe- king ont quarante pieds de hauteur ; je les ai jugés d'environ trente pieds, sur vingt à vingt-cmq de- paisseur par le bas : M. Barrow ne leur donne que de vingt-cinq à trente pieds.
Les murs de La ville Chinoise ne sont pas aussi hauts que ceux de la ville Tartare. Les portes des deux villes sont chargées de gros pavillons ; mais ceux de la ville Tartare sont plus beaux et plus élevés. Ces pavillons sont percés de trois rangs d'embrasures /1.° 4) ; mais on ne pourroit y mettre qu’une très-foible artillerie. L'esplanade qui se trouve entre les deux portes, est vaste et sert à faire manœuvrer les soldats.
Un fossé règne en avant des murs, et l'on passe un petit pont avant d'arriver à la porte. Ce fossé est arrosé , car on ne peut dire rempli, par une petite rivière qui, prenant sasoyrce dans des mon- tagnes situées à trois lieues nord-ouest de Peking, entre dans la ville par le côté septentrional ; envi- ronne le palais, forme plusieurslacs; et, aprèsavoir réuni ses diverses branches en dehors de la ville Chinoise , va se jeter près de ja ville de. Tong- tcheou , à quatre lieues à Fest de Peking, dans la rivière Pay-ho.
D’après plusieurs missionnaires, les rues de
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4o OBSERVATIONS Peking ont cent vingt pieds de large ; les Anglois leur donnent ja même mesure. D'autres mission- naires disent que les rues de Peking sont un peu plus larges que la rue de Tournon à Paris : celle-ci peut avoir de soixante-dix à quatre-vingts pieds ; ainsi les rues de Peking auroient de quatre-vingts à quatre-vingt-dix pieds. On lit dans le Voyage du Père Bouvet /a), que les rues n’ont qüe qua- rante-cinq à cinquante pieds : cette mesure diffère beaucoup de celles rapportées par les autres mis- sionnaires ; mais cela peut s’expliquer, puisque les Tues ne sont pas également larges. Le P. le Comte dit que la rue de la ville Tartare, la même que nous avons traversée, a près de cent pieds, et que d'autres ont cent vingt pieds. J’estime que ja rue par laquelle nous sommes entrés dans la ville Chi- noise , peut avoir de soixante-dix à quatre-vingts pieds de largeur , et que celle de la ville Tartare enaun peu plus. En général, les rues principales sont larges; mais celles de traverse le sont beau- coup moins, et elles ont des barrières que l’on ferme la nuit /n.° 11), usage qui est ordinaire à la Chine. Le coup d'œil des rues de Peking n'est pas beau {n° 4 et 11) ; les maisons sont basses et sans alignement ; certaines boutiques avancent, d’au- tres sont en arrière; les unes sont belles et les
(a) Le P, Dubalde, rome J, page 61.
SUR LES CHINOIS. 41 autres misérables. Les piliers qui sont placés en avant des boutiques, quoique bien dorés et vernis, ne font pas un bel effet, parce qu’ils sont plus ou moins élevés , et que d’ailleurs 这 n’y en a pas par-tout /a), L'ancienne rue de la Porcelaine , à Quanton , est beaucoup mieux, et les piliers sont d'une forme plus égale.
Dans l'enceinte extérieure du palais, les mai- sons sont uniformes et le coup d'œil plus agréable; cette enceinte, dans laquelle nous avions notre lo- gement , est appelée Hoang-tching. Ses murs ont de quinze à dix-huit pieds de hauteur; ils sont rouges et couverts avec un petit toit en tuiles jaunes /n,° 9). L'empereur Yong-lo, en formant cette enceinte, à laquelle on donne près de deux lieues de tour , Favoit destinée pour y bâtir uni- quement son palais; mais ses successeufs en ont concédé différens emplacemens à des particuliers, et plusieurs marchands sont venus s’y établir. C'est- à qu’on trouve le Iac Van-yeou-tien, et l’île où est la pagode Pe-ta / n° 2), Les missionnaires François demeurent dans ce quartier.
Après avoir traversé lenceinte extérieure, on arrive au pied du Kong-tching ou enceinte inté- rieure du palais : if est formé par un rempart haut
(a) Une inscription mise sur ces piliers, annonce ce que vend le marchand, et prévient qu'il ne trompera pas l'acheteur.
42 | OBSERVATIONS
de vingt-cinq à trente pieds ; un fossé avec de l'eau entoure les murailles , et l'on passe sur un pont avant d'entrer $ous les portes, qui sont au nombre de quatre , composées chacune de trois ouver- tures, et surmontées de très- beaux pavillons. L'épaisseur des murs, sous ces édifices , est con- sidérable et peut avoir jusqu’à quarante-cinq pieds (n° 10 ).
Le Kong-tching a dix-sept cents toises de circuit : cet emplacement renferme le palais. J’a- vouerai que ja vue du palais fait impression ; la grandeur et étendue des bâtimens en imposent, et leur symétrie plaît. Cette multitude de pièces de bois qui entrent dans ja construction des toits, la contournure relevée de leurs extrémités , les dorures, les peintures, forment un très-bel effet ; enfin les tuiles vernissées d’un beau jaune , et les boules dorées placées sur le haut des pavillons, ont quelque chose d’agréable. |
L'étranger qui, des extrémités de l'univers, se trouve transporté dans les vastes côurs du palais de Peking, lorsqu'il jette les yeux sur cette quan- tité de galeries, de portiques et de salles immenses, rangées dans un ordre suivi et régulier ; lorsqu'il traverse ces murailles épaisses , qu'il considère ces portes qui constamment fermées ne s'ouvrent que pour l'empereur ; l'étranger, dis-je, ne peut se défendre d’une certaine admiration , sur-tout s’il
SUR LES CHINOIS. 43 vient à réfléchir que tout ce qu'il a devant les yeux ne ressemble en rien à tout ce qu'il a vu, à tout ce qu'il a admiré jusqu'alors.
Mais , si l'extérieur du palais impérial plaît et séduit, l’intérieur cause une surprise bien diffé- rente , le charme disparoît entièrement : autant les murailles et les bois sont chargés en dehors de peintures, de vernis et de dorures , autant l'inté- rieur est simple et privé d’ornemens. Des papiers blancs ; quelquefois, mais très-rarement, des pa- piers à fleur, en font toute la tenture : en un mot, larchitecture du palais suit le caractère de la na- tion , tout est à l'extérieur et rien à lintérieur.
La cour qui précède la salle impériale, est belle ; elle est traversée par un ruisseau sur lequel 5l y à cinq petits ponts en marbre blanc.
La cour où les Hollandois firent leur dernier salut, est vaste, et l'entrée en est magnifique. Cette entrée appelée Ou-men, est formée de trois portes surmontées d’un beau pavillon placé entre deux galeries. Auprès de [a porte Ou-men, ily a des magasins, au-dessus desquels sont de superbes pavillons, dont les toits portent à leurs sommets de grosses boules dorées.
C'est dans cette cour que les princes du sang vont tous les mois prendre les ordres de lem- pereur , et que Îes princes tributaires font hom- mage au souverain, soit en personne , soit par
44 - OBSERVATIONS leurs envoyés , en remplissant les cérémonies du- sage. Voici en quoi consiste cet hommage :
Le maître des cérémonies, qui est un des pre- miers mandarins du Ly-pou, ou tribunal des Rites , s'étant placé près de la porte Ou-men, crie d'une voix haute et perçante : |
Pay-pan /mettez-vous en ordre];
Tchouen-chin / tournez-vous/f ;
Kouey /mettez-vous à genoux ];
Ko-teou / frappez la tête contre terre];
TFsay-ko-teou /frappez encore];
Yeou-ko-teou / frappez de nouveau];
Kyÿ-lay //levez-vous ].
On se remet encore à genoux, et l'on recom- mence deux fois le salut ; ainsi l'hommage consiste à faire trois fois trois saluts. Après le dernier, le mandarin crie : à
Ky-lay //evez-vous ];
Tchouen-chin /tournez-vous];
Pay-pan /mettez-vous en ordre]; puis 这 se met à genoux lui-même devant la porte et dit : :
Chao-y-py / Seigneur, les cérémonies sont terminées].
L'empereur loge dans la partie septentrionale du palais , avec l'impératrice appelée Hoang-heou. La seconde reine habite le côté de Pest et en prend la dénomination de Tong-tsong / Zsong de l'est ]. La troisième demeure à l'ouest, et se nomme
Sy-tsong / song de l'ouest ].
SUR LES CHINOIS. 45
Les concubines de l’empereur s'appellent Kong- nuu et celles que l'empereur préfère prennent le nom de Fey.
Outre les appartemens du palais , on trouve dans l’espace qui existe entre ces appartemens et l'enceinte nommée Kong-tching, des édifices con- sidérables et d’autres moins étendus ; il y en a même de très-mesquins. Les ministres ont aussi leur résidence dans cette enceinte, mais ce n’est que pour Île temps ou ils sont à la cour.
Après le palais, la belle disposition des temples fixe attention. Je ne parlerai pas de ceux qui sont dans la ville Chinoise, car il nous a été impossible de les voir. Le premier est celui du Tien-tan /éminence du ciel ] : empereur y fait un sacrifice au solstice d'hiver ; cependant il paroît qu'il visite cette pagode dans d’autres circons- tances.
Le second temple est celui du Ty-tan /éminence de la terre] : Fempereur y sacrifie à la terre au sols- tice d'été. Le P. Magalhens soutient, au contraire, que l'empereur fait ce sacrifice dans le Miao , ap- pelé Pe-tien-tan ; il prétend aussi que c’est dans le Ty-tang que l’empereur est couronné et qu'il japoure une portion de terre, tandis que les missionnaires disent que cette dernière cérémonie a lieu dans un temple appelé Sieñn-nong-tang. Cette différence d'opinion vient sans doute de ce
46 OBSERVATIONS | que, dans ja pagode Ty-tan, l'endroit où laboure fempereur se nomme Sien-nong-tan /éminence des anciens laboureurs ], et non Sien-nong-tang f car il est essentiel de ne pas confondre les mots Chinois Tan et Tang. Tan veut dire éminence, et Tang salle, Le Tang renferme ordinairement je Tan, l’éminence ou le lieu où l’on fuit le sacrifice, et qui est toujours plus élevé. Au reste, cette expression prouve bien que les premiers Chinois, à l'exemple des peuples de l'antiquité, ont toujours fait leurs oblations sur les hauteurs.
Les temples dont je viens de parler et plusieurs autres particuliers, contribuent à embellir fa capi- tale ; mais si Peking, pris en général, étonne par son immense étendue, par ja grandeur de ses édi- fices et par la largeur de ses rues, le contraste du 这 présente est encore plus surprenant. « Le dedans des maisons des grands, dit le P. Souciet, est propre et bien ordonné , mais l'intérieur des de- meures ordinaires est peu de chose. Le train des princes et des grands est magnifique ; maïs, à l'exception des personnes qui leur sont attachées et des madarins, on peut dire que Peking n’est rempli que de gueux. » Le rapport de ce mis- sionnaire , quoique sévère , est exact ; car dans le palais même les appartemens ne sont tapissés qu'en papier blanc , à l'exception de deux ou trois pièces où l'on voit du papier à fleurs. Lorsque nous
-
SUR LES CHINOIS. 47 accompagnâmes l'empereur le jour de notre pre- mière audience , les mandarins et les gens de jx cour étoient bien vêtus, mais la majeure partie de ceux qui nous entouroient étoit bien foin de leur ressembler. En un mot, la capitale de l'em- pire Chinois n'offre point l'ensemble auquel on doit s'attendre , d'après ja relation de certains auteurs. J en est de même de sa population : suivant les différens écrivains qui ont parlé de Peking cette ville contient vingt, quinze, dix, huit , enfin quatre millions d'habitans. « C'est, » dit le P. Gaubil, une grande exagération ; car, » outre les vastes enclos du Sien-nong-tan et du » Ty-tan, la moitié de fa ville Chinoise est déserte, » ou renferme des champs, des jardins et des » sépultures. Le palais impérial, les jardins, les > lacs, les maisons des grands et les pagodes , » occupent plus de ja moitié de fa ville Tartare ; »enfin , il n'y a pas autant de logement dans » Peking que dans Paris. »
< Si l'on fait réflexion , avance le P. Le Comte, > que les maisons Chinoïses ne sont ordinairement » que d'un étage, on verra que Peking ne con- » tiendra pas plus de logement que Paris, et même » moins, parce que les rues en sont incompara- » blement plus larges, que le palais immense de » l'empereur est peu habité, qu'il y a de vastes » magasins et de très-grands espaces remplis par
48 OBSERVATIONS
» des huttes ou petites maisons destinées pour Îes » Chinois qui viennent dans ja capitale se faire » recevoir docteurs ; d’où l’on peut fixer la popu- » lation de Peking à deux millions. » C'est à ce nombre que M. Staunton s’est arrêté.
Lorsque je quittai notre maison à Peking, je par- courus une portion de ja ville Tartare, en suivant des rues de traverse, et je n’y rencontrai personne. Je traversai ja ville Chinoise par une diagonale, depuis la porte Tartare jusqu’à la porte Chinoise, et je ne vis que des fondrières et des terrains arides ; enfin, je croyois être en pleine campagne lorsque ja voiture rentra dans ja rue principale, auprès de ja porte. |
Je sais bien que ja ville Tartare est mieux bâtie que ja ville Chinoise ; mais jy ai aperçu aussi de grands emplacemens absolument vides ou remplis de petites baraques,
La foule étoit considérable lorsque nous entrâmes dans Peking ; mais cetoit le moment où l'on venoit d'ouvrir les portes. Un grand nombre de paysans apportoient des provisions ; quantité de charrettes, de chariots , de chameaux et d’autres bêtes de somme, entroient à-la-fois pour se répandre ensuite par toute ja ville. Cette foule, qui continua tout le temps que nous 位 mes dans la première rue, diminua beaucoup dès que nous eûmes pris par la seconde ; et ce que nous vimes de monde dans
la
SUR LES CHINOIS. 49 Ja ville Tartare n’étoit pas considérable ; dans le quartier même de empereur il ny en avoit que médiocrement. Enfin, lorsque nous quittâmes fa capitale, quoique le soir et à Finstant de fermer les portes , il s’en faut de beaucoup que nous ayons trouvé la route aussi fréquentée qu’à notre arrivée. On ne peut donc juger de la vraie popu- lation de Peking par celle qui se montre dans certaines circonstances.
En allant à Yuen-ming-yuen, et sur-tout en revenant , nous rencontrâimes du monde sur fa route et nous en vimes beaucoup de rassemblé dans plusieurs carrefours de la ville; maïs on ne peut en rien conclure, parce que les rues que nous suivimes sont les plus passantes, et que d’ailleurs l'empereur étant alors dans ses jardins, toutes les personnes qui avoient affaire à la cour étoient forcées d’en prendre le chemin.
Il est d'usage à la Chine que certains ouvriers travaillent plutôt chez les particuliers que chez eux; aussi en voit-on continuellement dans les rues 了 soit pour se rendre chez leurs pratiques, soit pour en chercher de nouvelles. Les barbiers sur- tout, dont le nombre est considérable , n’ont pas de boutiques fixes comme en Europe; ils rasent dans ja rue ou dans les maisons. Les forgerons même portent avec eux leurs outils les plus néces- saires , et raccommodent sur ja place Îles poëles ou
TOME 111. D
50 OBSERVATIONS autres ustensiles de fer qui sont cassés. Enfin, tous tes gens qui, dans nos cités, sont ordi- hairement sédentaires , à la Chine , au contraire, vont .et viennent sans cesse, et augmentent par conséquent ja foule. IH faut ajouter que d'usage ne permettant pas aux personnes du bon ton d'aller à pied dans les rues de Peking , toutes celles qui sont un peu aisées ou qui remplissent des places, sont obligées d'aller en voiture ou à cheval, suivies d'un ou de deux domestiques. Les mandarins en ont un plus grand nombre , et les grands seigneurs ne paroissent pas en public sans être accompagnés @'une trentaine d'hommes à cheval ou à pied. Si fa même coutume avoit lieu dans.les villes d'Europe, Les rues-y seroïent pour le moins aussi embarras- sées que celles de Ja Chine , sans que pour cela on Pht croire à une population extraordinaire. Lorsqu'on a dit qu’il y avoit plusieurs millions d'ha- bitans à Peking , on a jugé sur les apparences, et c'est -ce qui a trompé. Ïl en est de même pour Quanton : suivant certains auteurs, la population de cette ville est énorme. Mais pourquoi ces écri- vains ‘ont-ils parlé de cette manière! C'est qu'ils ont vu Quanton dans le temps où les vaisseaux étrangers ‘y viennent faire le commerce. S'ils y étoient restés après le départ des navires, ils au— Toient trouvé que ces mêmes quartiers, naguère remplis de coulis, de porte-faix et d'une foule
SUR LES CHINOIS. st d'autres personnes, n’offroient plus alors que de vastes solitudes,
Nous avons fait voir que les usages des Chinois font paroître Ja population de [a capitale plus nombreuse qu'elle ne l'est réellement ; examinons maintenant, d'après la manière de construire, si cette ville est plus peuplée que Paris.
Les maisons et les boutiques des Chinois sont toujours bâties le long des rues les plus fré- quentées : or, les rues dans leurs villes étant assez, ordinairement placées d’équerre, il reste dans je milieu de grands terrains vides ou occupés par des maisons chétives et de peu d'apparence ; c'est ce qui a lieu à Peking.
Les habitations du peuple n'exigent pas à la Chine un grand espace, il faut en convenir ; mais celles des marchands un peu aisés sont considé- rables : souvent même is ne couchent pas dans les maisons où sont leurs boutiques ; ils vont Le soir dans un autre quartier où demeurent leurs femmes et leurs enfans ; et si ces marchands sont riches, ils ont quelquefois un logis séparé pour chacune de leurs concubines.
Je ne parle pas des palais des grands, des tem- ples et des autres édifices qui existent dans Peking ; on a vu plus Baut ce que les missionnaires en disent. Je borne mes observations aux maisons
des particuliers, qui proportionnellement doivent | D 2
了 2 OBSERVATIONS toujours contenir beaucoup plus de monde que celles des mandarins et des marchands. |
Si lon suppose que le logement d’une famille Chinoise ne demande pas autant d'espace que le. logement d’une famille Européenne , on a raison ; mais il faut considérer qu'une surface donnée de. terrain sur laquelle logeroit à Peking un nombre assez limité d’habitans , en reçoit bien davantage à Paris, puisque dans la première de ces villes les maisons n'ont qu’un rez-de-chaussée , tandis que dans la seconde elles ont cinq, six étages , et quel- quefois plus ; et que par conséquent une seule habitation occupe Îà, en superficie, autant dem- placement que cinq ou six ici : de sorte que si l'on applique ce calcul aux logemens des pauvres, où toute ia famille vit pêle-mêle , dans l'un comme dans l’autre pays, on conviendra qu’en France les maisons sont peuplées cinq et six fois autant que celles de ja Chine ; et quoique la proportion ne soit pas tout-à-fait la même pour les demeures des gens plus aisés , elle est toujours en faveur de mon opinion , puisque les Chinois de cette. classe ne sont pas logés , comme je fai dit plus haut, aussi à l'étroit qu'on se limagine commu- nément.
Je n'ai pas été assez long-temps à.Peking pour» pouvoir calculer avec précision sa population : je. ne réfute donc aucun des auteurs qui en ont parlé;
SUR LES CHINOIS. 53 mais en supposant que cette ville soit plus peuplée, comme je le crois, que la plus grande ville d'Eu- rope, je ne pense pas que ses habitans excèdent de beaucoup un million, et certes ce nombre pa- roîtra déjà assez considérable , sur-tout si on pense aux approvisionnemens nécessaires à sa sub- sistance. Que seroit-ce si Peking contenoit vingt, dix, et même quatre millions d'individus ! Les auteurs qui lui ont supposé une telle population, n'ont pas fait la réflexion qu'il seroit impossible de Ia nourrir.
Après avoir donné une idée de la capitale de Tem- pire Chinois, et de ses habitans, on me permettra quelques remarques sur fentree des Anglois à Peking, et de relever certaines erreurs dans fes- quelles est tombé M. Staunton.
Les Angiois ont dû entrer par ja porte de la ville Tartare, appelée Tchao-yang-men, et suivre en- suite une large rue qui continue presque jusqu’au mur de Fenceinte extérieure du palais. En regar- dant à gauche, dit M. Staunton, « on aperçoit un > bâtiment qu’on dit être un observatoire érigé > par jempereur Yong-lo. » Il a dû être difficile à M. Staunton, de voir cet observatoire qui est à un üers de lieue au-dessous de ja porte par laquelle il est entré dans ja ville. Cet édifice d’ailleurs n'a pas été bâti par Yong-lo, qui régnoit en 1404, et qui est mort en 1425; mais par Kia-tsing,
D 3
54 OBSERVATIONS onzièmé émpereur des Ming, en 1522, c'est-à- dire, cent dix-huit ans plus tard.
Arrivé à a porte septentrionale de l'enceinte extérieure du palais, le voyageur Anglois s'arrête pour décrire une partie des jardins de lempe- reur. I] n’est pas aisé de comprendre comment M. Staunton a pu voir, par une porte, derrière faquelle il y a des bâtimens, les jardins qui sont un peu plus à Pouest.
æ En avançant vers l’ouest on nous montra ; > ajoute M. Staunton , la maison où démeuroient > quelques Russes ; et, ce qui étoit plus singu- » lier, une bibliothèque composée de manuscrits > étrangers ,barmi lesquels existoit ,disoit-on , > une copie du Koran en Arabe. » Lauteur a bien raison de dire que tout cela étoit singulier; car comment a-t-il pu voir la maison des Russes, qui est située au-delà du palais, je ijong de ja muraille méridionale , près de l'enceinte extérieure , et à plus d’une lieue de lendroit où se trouvoient les Anpglois !
II existe encore , il est vrai, une maison Russe dans le nord-est de Peking , auprès des murs ; mais il ne faut pas la confondre avec Ia maison Russe où est fa chapelle qui sert au culte des per- sonnes de fa caravane ; la première a été bâtie du temps de Kang-hy, par des Russes qui vinrent s'établir à Peking. Les Chinois appellent ceux qui
SUR LES CHINOIS. 55 lhabitent, Lo-tcha ; et leur chapelle, Lo -tcha- miao. If ne reste de ces émigrés que deux ou trois familles qui ont été incorporées dans les ban- nières Tartares; mais leur maison, quoique un peu plus rapprochée que l’autre, étoit trop éloignée de M. Staunton, et séparée de lui par un trop grand nombre d'habitations pour qu'il pût en découvrir même fa position. |
Nous avons traversé Peking plusieurs fois, et certes les Chinois ne nous auroient pas permis de nous arrêter , encore moins de visiter une biblio, thèque. M. Barrow , qui paroît être un observateur attentif, ne dit point qu'il se soït arrêté en route. On remarque d’ailleurs que ces deux voyageurs ne sont pas toujours d'accord , tant if est vrai que les hommes jes plus éclairés voient diversement les mêmes choses , et que le plus simple événement rapporté par deux historiens, varie quelquefois , et souvent paroît totalement différent.
POPULATION.
PLUSIEURS personnes ont écrit sur la popula- tion de la Chine ; les missionnaires principalement nous ont donné des notions intéressantes sur cette . matière; mais la plupart, séduits par l'immense étendue de cet empire, ou calculant le nombre des habitans d’après celui qu'ils ont vu dans cer-
tains cantons , en ont déduit des conséquences D 4
6 OBSERVATIONS
un peu trop fortes. D'autres voyageurs, trompés par le rapport des Chinois, ont adopté aveuglé- ment les notes qu'ils en ont reçues, et nous ont présenté ja population de cet État comme beau- coup plus considérable que nous ne l'avions crue jusqu'alors.
J'ai consulté moi-même les Chinois ; mais les ayant trouvés en contradiction les uns avec les au- tres, j'ai jugé qu’il n’étoit pas prudent de les croire sur parole ; car nul peuple au monde n’est plus dis- posé à exagérer tout ce qui regarde sa nation. Ils se font peu de scrupule de tromper un étranger, d'autant plus que leur vanité se trouve récompensée par l'importance qu’ils croient se donner à eux- mêmes en augmentant la force et la puissance de leur pays. |
Tout en suivant les états qu’ils m'ont fournis, Jexaminerai moi-même si le sol des provinces peut subvenir à la nourriture de ses habitans ; si la Chine, dans les cas de disette , peut trouver des secours étrangers, et si le nombre d'hommes est propor- tionné à l'étendue de chaque province; enfin, je tâcherai de faire voir que sa population n'est pas plus considérable que celle des autres pays à terri- toire égal.
Les réflexions que je me permets de hasarder, sont le résultat d’un voyage que j'ai fait dans l'in- térieur; non que j'aie la prétention de dire que
SUR LES CHINOIS. 57 j'ai tout examiné, cela étoit impossible ; mais ce que j'avance est fondé sur des rapports et sur des observations pesées avec la plus stricte impartia- lité.
La rareté ou la disette des vivres ; est le plus grand obstacle au progrès de [a population ; or, si l'on suppose un accroissement dans celle-ci, il faut en supposer un pareil dans les subsistances : mais comme il est reconnu que les hommes pro- duisent plus promptement que ja terre ne s’a- méliore , il résulte donc en définitif un manque d’alimens : de là naissent la misère, la pauvreté, les maladies et les mortalités, fléaux destructeurs qui absorbent fa surabondance de*la population , et fentretiennent dans un juste niveau ; or, nul peuple n’est peut-être autant exposé que les Chi- nois , à ces fatales conséquences.
Les terres labourables, dit Ie père du Halde /a), sont en général assez fertiles, et rapportent deux fois chaque année en certains endroits; mais comme elles ne sont pas en quantité suffisante dans plu- sieurs provinces, la plupart remplies de montagnes, il s'ensuit que ce qui se récolte dans l'empire, suffit à peine à la nourriture des habitans.
L’Yunnan , le Koey-tcheou , le Setchuen , le Fo-kien , sont montueux : le Tchekiang est fertile
(a) Tome It", page 14.
58 OBSERVATIONS à l'est; mais il y a des montagnes affreuses dans l'ouest.
Les terres du Quang-tong et du Quang-sy, fertiles le long de la mer, deviennent presque stériles dans l'intérieur.
Le Kiang-nan, une des provinces les plus peu- plées , a plusieurs districts presque inhabités, et pleins de montagnes : il y en a encore davantage dans le Chen-sy et le Chan-sy. |
Le P. Bourgeois /a) se rendant à Peking ,fut étonné de ne voir que des montagnes en entrant dans le Kiang-sÿ. « J'aperçus, dit-il, à perte de » vue des montagnes arides, et au bas , peu ou » presque point de terrain propre à la culture ; > j'en témoignai ma surprise aux mandarins, en » leur disant que, d’après les relations que j'avais » lues de ja Chine, je croyois que les montagnes » étoient coupées en terrasses, et cultivées depuis > le bas jusqu’en haut. Hs se mirent à rire, Vous » pouvez compter encore, lui répondirent-ils, sur » cent lieues de pays à- peu - près dans le goût de > celui-ci : que diriez-vous du Quang-sy, où sur > dix parties, il y en a huit en montagnes stériles ; » du Yunnan, du Setchuen, d’une grande partie du » Fo-kien et du Petchejy qui sont presque tout » couverts de montagnes ! »
(a) Mission., tome VIII, page 295.
SUR LES CHINOIS. s9
« I] ne faut pas juger de la Chine, dit le P. du > Halde /a) , par certaines contrées ; on en trouve » d'autres d'une étendue de vingt lieues presque » incultes et inhabitées. Le Honan et le Hou- » kouang sont fertiles ; mais le Honan a, du côté » de jiouest de vastes terrains incultes et aban- » donnés ; je Houkouang a des déserts encore plus » considérables. »
Le Petchely, dont le terrain est sec, a besoin des autres provinces pour sa subsistance ; tout ce q'i est au nord du Hoang-ho produit peu de riz, et ne donne que du blé et du millet.
À partir du Yunnan /b), par le Kouey-tcheou, le Setchuen , le Chen-sy, jusqu’à la grande mu- raille, il n'y a que des montagnes affreuses et rem- plies de sauvages. « La Chine, dit le P. de Pre- > mare fc), quoique très-florissante et riche , est » le pays le plus misérable, en ce qu'il ne su 人 ht > pas à la nourriture de ses habitans. >
J'at tracé ce tableau d’après les récits des mis- sionnaires , qui oht eu ja facilité de parcourir la Chine ; car si j'avois parlé d'après moi-même, on m'auroit objecté, avec raison , que je n’ai pas tout vu, et que ce que je dis n’est que pour sou- tenir fopinion où je suis, que là population de la.
(a) Tome If, page 15. (8) Lettres édifiantes , nouvelle édition, rome XXII, page 177. {c) Tome II, page 151.
69 OBSERVATIONS Chine n'excède pas de beaucoup celle des autres pays.
On vient de voir que la Chine par elle-même suffit à peine à nourrir ses habitans ; il faut exa- miner actuellement si elle peut être alimentée par ses voisins.
Dans les temps de disette disent jes Lettres édifiantes /a), la Chine ne tire aucun secours des étrangers. On trouve bien au nord, dit le P. du Halde /h), les terres du Leaotong; elles sont bonnes et fertiles en millet et froment; elles nour- rissent de grands troupeaux de bœufs et de mou- tons, ce qu'on ne voit presque point dans les provinces de la Chine ; mais le Leaotong est peu considérable , et sa partie orientale est déserte et marécageuse. |
Le Kirin-oula-hotun, qui s'étend jusqu’à la mer de l'est, et qui comprend douze degrés en latitude et vingt en longitude, est un pays froid, rempli de forêts et de montagnes, et si peu habité que l'empereur, pour en peupler les campagnes, y envoie Îles Tartares et les Chinois condamnés à Texil. Le terrain y produit du millet et de lavoine dont on nourrit les chevaux, ce qui ne se fait pas à la Chiné, ainsi que je l'ai remarqué pendant
(a) Tome XXII, page 175. (5) Tome IV, pages j et suiv.
SUR LES CHINOIS. 6t mon voyage. Le riz et le froment sont rares dans cette contrée.
Le pays de Tcitcicar qui confine avec les Mos- covites , est médiocrement bon et ja terre y est sablonneuse.
Dans ja partie du nord-ouest, les terres des Mongoux occupent une étendue de près de trois cents lieues de jest à l’ouest et de deux cents du nord au sud. Sous le nom général de Mongoux, on comprend les Éleuths , les Kalkas et les Mon- goux proprement dits. Tous ces peuples habitent sous des tentes, vivent de leurs troupeaux et de leur chasse ; ennemis du travail, ils aiment mieux ce genre de vie que cultiver ja terre.
Les Fleuths habitent les pays situés entre ja mer Caspienne et les monts Altaï ; ils ont au nord les Moscovites et au sud les Tartares Yusbeks. Ces pays, par leur éloignement et par Ja manière de vivre des habitans, ne peuvent rien fournir aux Chinois.
Les Kalkas sont plus rapprochés : leur pays s'étend de Test à l'ouest , depuis la province de Solon jusqu'aux monts Altaï, c’est-à-dire, dans une longueur de plus de deux cents lieues ; et du nord au sud, depuis les cinquante et cinquante et unième degrés jusqu'à la fin du désert de Cobi ou Chamo, qui comprend un espace de près de cent lieues, et s'étend ensuite par ramifications de différens
62 OBSERVATIONS
côtés. Toute cette région est sèche , sablonneuse et ja plus stérile de la Tartarie : on y trouve seu- lement en quelques endroits des étangs et des pâturages où les habitans mènent leurs troupeaux. La meilleure partie du terrain des Kalkas est celle qui est proche du Kerson-pira, de POurson-pira qui se jettent dans le jac Coulon-nor, et forment ensuite ja rivière Ergoné, qui se rend dans le Saghalien-oula ou fleuve Amour. Tous les peuples qui habitent ces pays ne s'appliquent, comme les autres Tartares , qu’à élever des troupeaux, et l'on ne peut rien voir de plus misérable que ces Kalkas.
Les Mongoux habitent au-delà de ja grande muraille ; leur pays, qui s'étend de Pest à l’ouest, depuis le Leaotong jusque vers Ning-hia, la ville la plus septentrionale du Chen-sy, est peu propre à la culture, le terrain étant trop sablonneux. Le Cartching est meilleur, mais il n’a tout au plus que quarante-deux lieues du nord au sud sur une largeur plus considérable ; c’est là que fempereur fait ses chasses. Les Mongoux vivent sous des tentes, et mènent la même vie que les autres Tartares.
Des montagnes escarpées séparent le Chen-sy du Kokonor, et le commerce des Chinois avec ces Tartares est très-médiocre.
Au-delà des montagnes inaccessibles situées à
SUR LES CHINOIS. 63 louest du Setchuen, on rencontre les Toufan, peuple civilisé qui habite un pays généralement montueux. Les Sifan ou Toufan vivent sous des tentes et nourrissent des troupeaux ; ja rhubarbe est la seule chose que ce pays fournisse aux Chinois.
L’Yunnan confine avec des peuples sauvages et avec les royaumes dAva et du Pegou ; des mon- tagnes défendent lentrée de cette province, et son commerce est foible.
Du côté du midi, des montagnes séparent ja Chine des royaumes de Laos et de Tunquin. Ces pays sont mal-sains , inculîtes , sauvages et remplis de rivières et de torrens dangereux ; le commerce est très-borné. La Chine ne communique avec le Tunquin que par une partie de la province du Yunnan. Ce royaume produit du riz, du maïs, du millet ; maïs les secours que les Chinois peuvent en tirer sont médiocres.
Le royaume de Corée , situé à l'est du Leao- tong , est fertile, quoique montagneux ; mais son commerce avec la Chine n’a jamais consisté en grains. |
Tout le reste de l'empire est borné au sud et à Test par fa mer. Il peut recevoir quelques secours de Manille ; mais is sont insuffisans, et néanmoins si recherchés, que, dans les cas de disette , j'ai vu exempter de tous droits de douane les vaisseaux
64 . OBSERVATIONS Espagnols qui apportoient des cargaisons de riz à Macao ou à Quanton.
Il résulte donc de tout ce que nous venons de dire, que la Chine, entourée de montagnes impraticables ou de peuples errans, vivant sous des tentes, et ne s'occupant que de leurs trou- peaux et fort peu d'agriculture, ne peut attendre aucun secours alimentaire des pays qui l’envi- ronnent, et qu’elle est obligée de tirer d'elle-même sa subsistance et de vivre de ses propres ressources. Le gouvernement en est tellement persuadé, qu'il a fait construire de grands magasins pour con- server les grains. On en voit de considérables à Peking et à Tong-tcheou pour subvenir aux be- soins de la capitale. Il y en a aussi dans chaque province; mais ces magasins sont mal administrés : les préposés , sous prétexte de prévenir la dété- rioration du riz que l’on y tient en réserve, solli- citent et obtiennent presque toujours la permis- sion de le vendre, avec linjonction seulement de le remplacer par du nouveau après la moisson. Mais, s’il arrive que ja récolte ne soit pas bonne, car le riz est sujet à manquer, il n’est plus possible de remplir les magasins; ils se trouvent vides alors, et dans jes temps de disette le peuple n’en peut tirer aucun secours. Cependant , quand même on supposeroit ces magasins bien administrés , comme ils ne doivent contenir que le dixième de
Ja
SUR LES CHINOIS. 65 ja récolte, et comme on prélève sur ce dixième la paye des mandarins et des soldats, le surplus ne pourroit nullement suffire aux besoins des hapbi- tans : par conséquent Îles vues du gouvernement ne sont pas remplies, et ses précautions deviennent insuffisantes. Quant aux secours que les provinces peuvent se donner les unes aux autres, c’est fort peu de chose. Les Chinois ne cultivent ordinaire- ment que ce qui est indispensable pour leur propre consommation, et non pour se procurer un excé- dant qu'ils puissent mettre en réserve, et vendre ensuite dans certaines circonstances : ainsi chaque canton n’a que son nécessaire , et ne peut rien donner à ses voisins. |
Ce qui contribue encore à enlever à la nour- riture des hommes une portion considérable de grains, C'est la grande consommation qu’on en fait dans ja fabrication des eaux-de“vie ; car, malgré les ordonnances réitérées de la cour pour prohiber cette fabrication, on ne cesse de distillér des grains.
Toutes ces causes réunies occasionnent quelque- fois de terribles famines , qui dépeuplent ja moitié des provinces : les pères exposent alors, vendentou tuent leurs enfans ; des milliers d'hommes périssent, et se mangent même les uns jes autres, ainsi que cela est arrivé dans le Chan-tong en 1786 /a).
{a) Lettre de M. Raux, missionnaire à Peking. TOME III. E
66 __ OBSERVATIONS
A ces fléaux 证 faut ajouter les massacres qui sui- vent ordinairement les révoltes. En 1783 et 1784, Les Mahométans , au nombre de cent mille, s'étant révoltés, l'empereur les fit tous massacrer, ex- cepté les enfans au-dessous de quinze ans. Si on réfléchit ensuite que les troupes Chinoïses ne réta- blissent pas toujours l'ordre dans les provinces sans éprouver des pertes, comme en 1768, où empereur perdit quarante mille soldats dans une révolte du Yunnan, et peut-être bien davantage dans les derniers troubles de l'ile de Formose, on aura une idée du nombre d'hommes qui doivent périr dans certaines circonstances. Chez un peuple concentré dans le pays qu’il habite, et qui ne fait pas de colonies, ces sortes d'évènemens , extrême- ment nuisibles à [a population, en rétablissent néanmoins l'équilibre et rendent moins sensible le manque de subsistances : C’est ce que cherche le gouvernement Chinois ; les moyens qu'il emploie sont sans doute violens et bärbares, maïs il les regarde comme nécessaires.
La Chine étant donc un pays mal partagé du côté des vivres, n'ayant rien à attendre de ses voi- sins, suffisant à peine à la nourriture de ses habi- tans, porte en elle-même le germe de la destruc- tion, et elle est loin de prendre dans sa population les accroissemens considérables que certains au- “teurs ont voulu lui accorder, sans réfléchir que ces
SUR LES CHINOIS. 67 accroïssemens eux-mêmes deviennent une source de destruction alimentée par les famines , suites inévitables d’une trop grande multiplication.
Considérons actuellement la population des provinces , d’après les états de différentes années, et examinons si le nombre d'hommes assigné à chacune est en proportion avec sa grandeur et avec celle des provinces voisines.
Tableau de la Population de la Chirie.
Dénombremens d’après
les Missionnaires, le P. Allerstain, les Anglois , Noms des provinces, en 1743. en 1761. en 1794. Petchely. .... 16,702,76$... 15$,22:,940... 38 millions,
Kiang-nan.... 26,766,365... 45,922,439... 32. Kiang-sy..... 6,681,350... 11,006,640... 19. Tchekiang... 1$,623,990,.. 15,429,690.,. 21. Fo-kien...... ,7,643,035%.. 8,063,671... 15. Hou-kouang.. 4,264,850... 16,909,923... 27. Honan....... 12,637,280.,. 16,332,507... 25. Chan-tong... 12,1$9,680... 25,180,734... 24. Chan-sy...... B,969,475... 9,768,189... 27. Chen-sy..... 14,804,035... 14,699,457.+ 30. Setchuen.... 15,181,710... 2,782,976... 27.
Quang-tong.… 6,006,600... 6,797597-.. 21. Quang-$y.... 1,143,450... 3,947,414... 10, Yunnan...... 1,189,825... 2,078,802... 8. Koey-tcheou.. 255,445.:. 3,402,722.., 9. Leaotong. ... 235,620... 668,852... “
150,265,475. 198,214,552. 333 millions, Ii est difficile , ainsi que je lai dit plus haut,
d'établir avec précision ja population de Ia Chine; E 2
68 OBSERVATIONS mais il ne faut qu'un instant pour voir combieñ ces états sont peu en proportion Îles uns avec les autres. : |
La population du Petchely, suivant les Anglois, est plus grande que celle du Kiang-nan, tandis que, selon les états de 1743 et de 1761, elle est plus petite ; je m'en rapporterois de préférence à ces derniers, puisque le Petchely'est moitié moins grand que le Kiang-nan , que je terrain d’ailleurs y est mauvais, au lieu que la seconde province est plus fertile et qu’elle a beaucoup de manufactures : ainsi la note d’après laquelle on a assigné trente- huit millions au Petchely et seulement trente-deux au Kiang-nan, ne peut être que fautive. Mais si le P. Allerstain a suivi une proportion plus juste dans leur population respective, est-il possible de supposer, comme il le fait, quarante-cinq millions d’habitans dans une province aussi petite que le 下 iang -nan et dont ja partie méridionale est remplie de montagnes ! Le Kiang-nan contient dix mille lieues carrées, et la France /4) trente mille. Si lon regarde que fa population étoit considé- rable en France en 1789, comment pourra-t-on accorder à un pays trois fois plus petit, un nombre d’habitans presque double !
Je ne m'’arrêterai pas à discuter je dénombrement
oc ,
{a) Avant la révolution.
SUR LES CHINOIS. 69 de chaque province en particulier ; ce qu’il est essentiel de prouver , c'est que ces dénombremens sont exagérés.
Les missionnaires, dans leurs calculs sur ja population , se sont servis du nombre cinq pour multiplier les familles. Ce terme est trop fort, et il eût fallu en prendre un moyen, pour éviter de tomber dans des erreurs inévitables avec une telle base.
D’après d'Expilly et Mésance, le produit moyen des mariages en France est de trois et quatre enfans, quoique la durée du mariage en puisse donner quatre ou cinq fois davantage. Un auteur plus récent établit $ + -= pour terme moyen, en multipliant le rapport des naissances avec les morts, par le rapport des naissances avec les ma- riages. Mais si l'on multiplie les mariages par cinq, le résultat surpassera le nombre des naïssances : ainsi ce terme est trop fort. En balançant le nombre des morts avec celui des naissances, on trouvera que le rapport des naissances aux mariages est de 4 + -Z; mais ce terme, quoique plus modéré, ne peut être exact, puisque Îles naissances n’appar- tiennent pas toutes aux mariages contractés dans année, et que les morts proviennent, en outre, tant de ja naissance de l'année que des naissances des années antérieures : en un mot, pour tout ce qui regarde la population, un simple relevé est
E 3
70 OBSERVATIONS préférable à une multiplication, et toute suppo- sition en ce genre ne peut donner qu'une erreur.
Un dénombrement de l'année 1122, sous Hoey- tsong des Song, donne vingt-huit millions huit cent quatre-vingt-deux mille deux cent cinquante- huit familles , comprenant quarante-six millions sept cent trente-quatre mille sept cent quatre- vingt-quatre bouches, ce qui ne fait pas deux per- sonnes par famille. Un autre dénombrement de Yan 1290, sous Chy-tsou des Yuen, porte à treize millions cent quatre-vingt-seize mille deux cent six le nombre des familles, et à cinquante-huit millions huit cent trente-quatre mille sept cent onze celui des personnes , ce qui est un peu plus de quatre têtes par famille : ainsi, d’après les. Chinois eux- mêmes, le nombre cinq, employé comme multi- plicateur , seroit souvent trop fort.
J'ai vécu long-temps à la Chine, et je n'ai pas remarqué que les familles de ce pays eussent un plus grand nombre d'enfans que celles d'Europe. Si le climat rend les femmes plus précoces en Asie, elles cessent aussi beaucoup plutôt d’être mères. D'ailleurs , on ne peut supposer qu’à la Chine ces mariages soient plus productifs qu’en Europe; car il est reconnu que chez les peuples qui n’ad- mettent pas fa polygamie , la population est égale et même plus forte que chez ceux gu la pluralité des femmes est permise. Ajoutons qu'un vice
SUR LES CHINOIS. TFT anti-physique ,generaiement répandu chez ces der- niers nuit prodigieusement à l'accroissement de J'espèce humaine. Il est vrai que ja dépravation des mœurs et la polygamie #tant beaucoup moins communes chez les habitans de la campagne que chez les gens aisés et dans les villes, ces causes y influent moins sur la population ; maïs la pauvreté , Ja misère et les maladies, qui marchent toujours ensemble, doivent enlever un grand nombre den- fans de cette classe, principalement dans des con- trées où les secours nécessaires à leur conservation sont rares où manquent entièrement. Toutes ces considérations font assez voir , ainsi que je lai déjà dit, que le nombre cinq employé comme muilti- plicateur des familles est trop fort ; je l'emploierai cependant dans les états que je vais rapporter, parce qu’en adopter un nouveau, ce seroit jeter de la confusion dans les calculs déjà faits; mon but, d’ailleurs, est de prouver uniquement que accroissement marqué dans ces états nest pas
exact,
États de Population, Années, Contribuables, Personnes. (a) 1736. 23593549 x $ = 117,967,745. Exempts d'après 125,046,245. À.
le P. Amiot... 7,078,500,
{a) Mission. , some VI, page 290.
E 4
72 . OBSERVATIONS
Années. Contribuables. Personnes.
(a) 1743:-30,043,09$ x $ == 150,265,475. Exempts...... 7:078,5 00. 157:343»975. B.
Contribuables.
(B) 1743:-28,450,846 x 5 一 as Fa 149,332,730. Ce
Exempts. ..... 7:078,500. (CS Trains ter . 196,837,977: Exempts.. .... 7,078,500. pet Pal ET ssearesseicue es ane ee | Exempts. ..... 7,078, 500. de Lit de ns (0e) 1794。 pessressionne 333,000,000. F,
Différence entre les diverses années.
Personnes. Différence d'un an pour 7 ans, de A à B... 4,613,961. Différence d'un an pour 7 ans, de AaC... 3,469,498. Différence d'un an pour 17 ans, de Ba D... 2,7;9,559. Différence d'un an pour 17 ans, de C à D... 3,210,808. Différence d'un an pour un an, de D'à E... 1,376,581. Différence d'un an pour 33 ans, de E à F... 3,869,907.
D'après ce tableau , la population a été en crois- sant de cinq huitièmes, et un peu plus depuis 1736 jusqu’en 1761, c'est-à-dire, dans l’espace de vingt- cinq ans. En suivant ja même proportion pour les vingt-cinq années suivantes, elle auroit dû être en 1786, de trois cent trente-trois millions six cent un mille deux cent huit individus ; et pour les huit ES ,
(a) Mission., #m. VI, page 279.
(b) Ibid., page 297. (c) Ibid., page 292.
(d) Ybid., page 374. (e) Anglois.
SUR LES CHINOIS. 73 années depuis 1786 jusqu’en 1794 de quatre cents millions cent soixante -un mille quatre cent qua- rante-huit individus ; tandis qu’au contraire elle ne suit plus la même progression depuis 1761 21794; et qu’au lieu de croître de cinq huitièmes, elle naug- mente plus que de trois huitièmes et un peu plus, sans que pourtant il ait existé de raison pour occa- sionner une semblable diminution. La vérité est que ces états sont inexacts , et que si ja popula- tion y est représentée comme toujours croissante, ctla provient de l'intérêt que les mandarins ont à faire croire que leurs provinces s’améliorent, parce que ce seroit déplaire à l'empereur , et nuire à leur avancement , que de lui montrer une dimi- nution quelconque.
Pour se convaincre du peu de vraisemblance de ces états, il suffit d'y jeter les yeux. Pourquoi, par exemple , les résultats de l’année 1743, rap- portés deux fois, présentent-ils entre eux une différence de huit millions onze mille deux cent quarante - cinq !
Comment la province de Setchuen a-t-elle en 1743 (a), quinze millions cent quatre-vingt-un mille sept cent dix personnes, tandis que dix-huit ans après, en 1761, un état Chinois très-détaillé ne lui en donne plus que deux millions sept cent
(a) Mission. , tome V], page 291.
74 OBSERVATIONS quatre-vingt-deux mille neuf cent soixante-seïze , c'est-à-dire, douze millions trois cent quatre-vingt- dix-huit mille sept cent trente-quatre individus de moins /a) !
Pourquoi l'augmentation moyenne dans ja po- pulation depuis 1736 jusqu’à 1760, et depuis 1761 jusqu’en 1794 , est-elle de plus de trois millions par an , tandis que dans une année, c’est-à-dire, de 1760 à 1761 , elle n’est que d'un million trois cent soixante-seize mille cinq cent quatre-vingt-un! Comment expliquer une différence aussi extraordi- naire ! I faut nécessairement l’attribuer ou au vice de Ja méthode que l’on suit en dressant les états, ou à la mauvaise foi de ceux qui en sont chargés; c'est ce_dont je Iecteur va se convaincre.
Suivant les missionnaires /b), durant l’espace de quatre-vingts ans, depuis 1680 jusqu’à 1760, ja population a augmenté de quatre-vingts millions : ce passage est d'autant plus remarquable, que com- prenant les années énoncées ci-dessus , il détruit ja prétendue augmentation de plus de trois millions par an dans fa population, puisqu'il ne la porte qu’à un million, quantité égale à celle annoncée par les états de 1760 à 1761. Il prouve donc clairement combien ces états sont faux , ét combien il faut être circonspect avant de les adopter.
(a) Mission. , tome VI, page 74. b) Ybid, rome XI, page 112.
SUR LES CHINOIS: 75
Une remarque à faire encore, et à laquelle les différens auteurs qui ont écrit sur la population n'ont pas eu assez égard, c’est qu’un accroissement considérable dans la population n’est pas toujours possible, parce que plus le nombre des hommes est excessif, moins il doit augmenter. Franklin observe que la faculté productive dans les animaux n’est pas d'elle-même limitée, mais que les hommes en se multipliant diminuent leurs moyens de sub- sistance, et que les privations qu'ils éprouvent, réduisent nécessairement ja population à un terme moyen. Îl y a long-témps qu’on a reconnu qu'une des causes principales qui restreignent l’accroisse- ment, étoit la difhculté de se procurer des vivres. Si les années abondantes arrivoient plus fréquem- ment, le genre humain, suivant sir James Steward, seroit beaucoup plus nombreux. Naturellement, dit Smith, les animaux multiplient en raison de leur subsistance.
Différens auteurs ont cru que ja population pouvoit être doublée en quinze ans, Petty pense même qu’elle peut l'être en dix; cependant, je plus grand nombre s'accorde à dire que ja population double tous les vingt-cinq ans : mais en prenant ce terme on auroit dà dire si lon avoit en vue un pays déterminé, ou si l’on rendoit l'application générale ; car, dans ce dernier cas, on trouvera peu de contrées, soit en Europe, soit ailleurs,
76 OBSERVATIONS où [fa population ait reçu un pareil accroissement. Aux États-Unis d'Amérique, où les vivres sont en abondance, les mœurs pures, les mariages fa- ciles, ja population s'accroît considérablement dans les villes, et encore plus dans les campagnes, dont jes habitans, sans cesse occupés des travaux de lagriculture , ignorent les vices qui enlèvent un grand nombre de personnes dans les cités ; aussi les États-Unis nous offrent-ils une population plus que doublée en vingt-cinq ans. Elle étoit, en 1774, de deux millions quatre cent quatre-vingt- six mille ames, et en 1799, de cinq millions cent vingt-sept mille sept cent cinquante-six. Mais en prenant cet exemple, a-t-on bien examiné com- ment ja population de l'Amérique est composée , et de quelle manière elle s’est accrue! Combien d'individus , de familles même ont quitté l'Europe pour aller s'établir en Amérique, soit après ja guerre avec l’Angleterre , soit pendant ja révolu- tion de ja France! Cette augmentation, qui sort du cours ordinaire de la nature et tient à des cir- constances particulières, ne peut entrer en ligne de compte pour un véritable calculateur. II ne doit considérer que la population indigène s’accrois- sant par son propre produit et non par des causes étrangères : ainsi l'on ne doit pas conclure de ce que ja population a doublé aux États-Unis depuis son indépendance , qu’elle puisse suivre le même
SUR LES CHINOIS. 2 À cours chez les autres nations. D'ailleurs, les États- Unis se trouvent dans le cas des pays qui sont susceptibles d’un grand accroissement , par Ja fa- cilité de s'y procurer des vivres, par l'étendue de leur territoire et par le petit nombre de leurs ha- bitans. Il n’est donc pas surprenant que ja popu- lation y ait augmenté et qu'elle augmente encore ; mais lorsqu'elle sera parvenue au point où son accroissement apportera les mêmes causes de des- truction qui existent dans les grandes nations, alors elle n’augmentera que fort peu , et se mettra en équilibre avec ses moyens de subsistance. C'est ce que nous voyons à ja Chine, où [a population est loin de prendre faccroissement accordé ordinai- rement aux autres nations; effet produit par ja trop grande quantité d'habitans réunis en une seule masse, quantité cependant qui est fort au- dessous des trois cent trente-trois millions d’indi- vidus que les voyageurs Anglois assignent à cet empire.
Nienhoff compte en 1650, après la conquête de la Chine par les Tartares, cent cinq millions huit cent soïxante-onze mile quatre cent trente- quatre individus. Sous 上 Kang -By le nombre de per- sonnes s’élevoit à cent quinze millions cinquante- deux mille sept cent vingt-quatre. En prenant un milieu entre sept dénombremens, on trouve une population de cent douze millions quatre cent
78 OBSERVATIONS
soixante-sept mille neuf cent quatre-vingt-treize, et en y ajoutant les sujets exempts de contribu- tion, que je P, Amiot estime être de sept millions soixante-dix-huit mille cinq cents, on aura alors une population moyenne de cent vingt-neuf mil- lions cinq cent quarante-six mille quatre cent quatre-vingt-treize. Si l'on compare ja Chine avec Ja France, uniquement sous le rapport de leur surface , la première étant presque six fois aussi grande que fautre et ja population de cette der- nière étant, en 1789, de vingt-cinq millions, celle de ja Chine sera de près de cent cinquante mil- lions ; mais si Fon a égard à la quantité de terres cultivables dans les deux empires, et que fon mette en rapport la population avec l'agriculture, on n'aura plus pour la Chine que cent trente-sept millions d'individus : ainsi, pour peu qu’on ajoute quelque chose, on parviendra au terme de cent cinquante millions, adopté par plusieurs auteurs, terme déjà assez fort et qu’il est impossible d’élever au-delà sans admettre des hypothèses invraisem- blables ou des ressources surnaturelles. En effet, avant de donner une immense population à fa Chine , il auroit fallu examiner si elle étoit pos- sible d’après ja quantité des terres cultivées : cette quantité s'élevoit en 1745 à cinq cent quarante-cinq millions d'arpens, et même on en peut admettre actuellement six cents millions , parce qu’on doit
SUR LES CHINOIS. 70 croire qu’elles se sont améliorées. Si lon accorde donc à la Chine une population de cent quarante à cent cinquante millions, cet empire se trouvera, proportion gardée , un peu plus peuplé que la France , et chaque individu y vivra sur quatre ar- pens. Donner à la Chine deux cents millions de personnes, c'est trois arpens par tête , ce qui sup- pose une population égale à celle des Provinces- Unies. En mettant trois cent trente-trois millions , ‘ce n’est pas téut-à-fait deux arpens par tête , et c’est établir une population beaucoup plus forte que celle des Pays-Bas. Or est-il possible de croire qu’un empire contenant neuf cents millions darpens de terre, dont six cents millions en culture, soit par- tout aussi peuplé que fa Hollande , qui n’en a que douze à treïze millions , ou plus que jes Pays-Bas, qui n’en ont que dix à onze ! On conviendra sans peine que , l’agriculture étant plus susceptible d’être perfectionnée dans un pays d’une médiocre étendue , et fes vivres pouvant sy multiplier plus facilement , 4 population doit y prendre un ac- croïsserment-béaucoup plus grand et beaucoup plus rapide que dans un pays d’une étendue soixante fois plus considérable.
Toutes ces raisons démontrent assez clairement que fa population de fa Chine ne peut excéder celle des autres pays ; et pour prouver définitive- ment que ceux qui pensent le contraire sont dans
| / 80 OBSERVATIONS l'erreur, je vais rapporter ce que j'ai vu dans les différentes provinces que j'ai traversées pendant mon voyage. ” Dans notre route pour nous rendre à Peking, en remontant ja rivière depuis Quanton jusqu’à Nan -hiong-fou dernière ville de la province, nous n’avons rencontré dans cet espace, qui est de cent cinq lieues, que cinq villes éloignées les unes des autres de dix-sept, dix-neuf, vingt-quatre et vingt-huit lieues. La population dans les cam- pagnes étoit très - ordinaire ; elle nous a paru un peu plus forte dans les villes; maïs [a circonstance de notre passage avoit amené du monde sur ja route; et lorsqu’à notre retour nous avons visité à notre aise les mêmes lieux, les habitans ne se sont pas montrés plus nombreux que par-tout ailleurs. IT en fut de même dans je Kiang-sy. Ex- cepté en deux ou trois villes où notre arrivée avoit attiré les habitans d’alentour , le nombre des in- dividus n’avoit rien de surprenant. En parcourant par eau ia plus grande partie de cette province:, nous trouvâmes les villes à la distance de douze, quinze et vingt-cinq lieues, et ensuite à onze, neuf et sept lieues : il n’y en a qu’une seule à cinq et une à trois lieues ; enfin, nous ne vimes que douze villes dans l'espace de cent seize lieues. Lorsque nous eûmes quitté nos bateaux, et que
nous voyageämes par terre dans le Kiang-sy, et dans
SUR LES CHINOIS. 8t dans le Hou-kouang , dans un intervalle de qua- rante lieues nous traversâmes quatre villes : comme la route passe au milieu des campagnes, des vil- lages et des villes , il nous auroit été facile de nous convaincre si les habitans y étoient en grand nom- bre; mais rien ne nous la prouvé.
Dans le Kiang-nan , en cent dix-huit lieues nous rencontrames huit villes à onze, douze, qua- torze , dix-huit et vingt-une lieues de distance lune de l'autre; et deux à cinq et à quatre lieues. À l'égard de cette partie occidentale du Kiang-nan, on ne peut être en doute un instant sur sa popu- lation : elle est très-ordinaire.
Le Chan-tong ne nous a présenté successive- ment, dans l'espace de quatre-vingts lieues, que dix villes à des distances de vingt-deux, onze, neuf, huit, six et cinq lieues et demie. Dans le Petchely nous en trouvâmes autant, un peu plus rapprochées cependant, puisque nous n’y fimes que soixante - trois lieues ; mais quelles villes ! et sur-tout quels villages ! la plupart offroient laffi- geant spectacle du dénuement le plus absolu ; tandis que Peking , au milieu de tant d'objets misé- rables , entouré de vastes muraïlles , orné de su- perbes pavillons et de magnifiques palais , sembloit à fui seul, si lon peut s'exprimer ainsi, avoir pompé et absorbé tous [es pays d’alentour.
En quittant la capitale , nous suivimes, dans le
TOME 111. F
82 OBSERVATIONS
retour, la même route jusqu’à la ville de Te-tcheou, où nous changeâmes de direction pour prendre du côté de l’est, Dans ce nouveau trajet nous fimes quatre-vingt-treize lieues dans le Chan-tong, et nous passämes huit villes dont jes trois premières les plus voisines du Petchely, sont à huit et à quatre lieues de distance , et. les dernières à treize, quatorze, dix-huit.et vingt lieues , et. une seule à sept lieues. Le terrain de cette partie du Chan- tong n'est pas aussi mauvais que dans [fa partie occidentale de la même province, aussi présente- t-il une population plus nombreuse , sans néan- moins être très-forte.
Parvenus dans la partie orientale du Kiang- nan , portion ja meilleure de ja Chine , et que les Chinois montrent de préférence aux. étrangers, nous trouvâmes dans Îles environs de la digue qui est élevée le long du fleuve Jaune, des bourgs qui nous parurent très-peuplés : c'est d’après cette population que les Anglois ont jugé, et c’est ce qui les a induits en erreur.
En passant par les mèmes lieux que ces voya- geurs, j'aurois pu croire comme eux que le nombre des habitans étoit considérable ; mais j'ai reconnu que je me serois trompé si je m'en étois rapporté à un premier coup d'œil. L'avantage que nous avions de partir suivant notre volonté, nous a mis à même de vérifier que cette. population
SUR LES CHINOIS. 83 w’appartenoit pas toute entière aux endroits où nous nous trouvions, mais qu'une bonne partie y étoit venue des lieux circonvoisins. Ces bourgs si peu- plés lors de notre arrivée , n'offroient presque qu'un désert au moment où nous partions, et nous apercevions dans ja campagne des bandes nom- breuses d’habitans qui s’en retournoient dans leurs villages.
Quoique la partie du Kiang - nan, avant le Hoang-ho, soit bonne, cependant nous ne vimes dans l'espace de quarante lieues, que deux villes à la distance de vingt-quatre et quinze lieues ; ensuite trois autres après avoir traversé ce fleuve , et avant d'être à Tsin-kiang-fou au-delà du Kiang, c’est-à- dire, dans l'intervalle de vingt- huit lieues. Cette portion du Kiang-nan , après le fleuve Kiang, est belle et bien peuplée; les bourgs sont plus rap- prochés, et dans l'espace de quarante-deux lieues on trouve cinq villes à quatre, cinq, sept, huit et neuf lieues les unes des autres.
Entrés dans fa province de Tchekiang , nous parcourûmes vingt-deux lieues avant de voir une ville ; muis comme les canaux font des dé- tours , nous laissimes sur le côté une ville du premier ordre et une du troisième ; néanmoins en comptant ces deux villes, nous n'en passimes que douze pendant les quatre-vingt-quinze lieues que nous fines dans cette province, c’est-à-dire,
F 2
84 OBSERVATIONS
une ville à la distance de quatre lieues, deux à cinq, deux à sept, une à huit, une à neuf, deux à dix, deux à onze, et une à douze lieues.
Les cantons du Tchekiang qui confinent avec le Kiang-nan, et ceux qui environnent la ville de Hang -tcheou - fou , sont bien peuplés ; mais en remontant Île fleuve jusqu’à l'extrémité de fa pro- vince , la population est médiocre , et les villes n'ont rien d’extraordinaire, quoique sur les huit villes que nous vimes dans cette partie du Tche- kiang, et qui sont à onze, dix, neuf, huit, sept et quatre lieues de distance les unes des autres, il y en ait deux du premier rang.
On rencontre peu de monde dans je passage par terre qui sépare le Tchekiang, du Kiang-sy. Yu-chan-hien, la première ville de cette dernière province, et que nous eûmes tout le temps dexa- miner , n’avoit qu'une population proportionnée à son peu d'étendue. En descendant le fleuve pour nous rendre à Nan-tchang-fou, capitale du Kiang-sy, ce qui fait une route de soixante-qua- torze lieues , nous Passames devant six villes, dont deux à huit lieues de distance, une à dix, une à douze, une à seize , et Nan-tchang-fou qui est à vingt lieues. Cette capitale, où nous nous arrêtâmes , est grande, mais sa population ne nous parut point extraordinaire. Nous avons donc été pendant un voyage de près de seize cents lieues,
SUR LES CHINOIS. 85 à portée de juger si les provinces étoient aussi peuplées que les Anglois Pont avancé. J'ai fait en allant à Peking, des courses assez longues sans rencontrer personne ; et si, dans mon re- tour , j'ai vu plus de monde dans certains endroits, il ny avoit cependant pas lieu d’être étonné : en un mot, rien ne m'a porté à croire que ja popu- lation en général füt prodigieuse. Je ne dirai plus qu'un mot : c'est une erreur que de croire qu'il existe à [a Chine une seconde population sur les rivières ; excepté les villes principales et commer- çantes , auprès desquelles on rencontre un assez grand nombre de bateaux, on n’en voit sur les fleuves que le nombre convenable à un pays vaste et étendu , dont tout le commerce se fait par eau. Les habitations sont assez généralement bâties à une certaine distance des rivières , et si les villes en sont souvent plus rapprochées , on en voit plusieurs qui en sont éloignées. Le passage sui- vant d’une lettre d’un missionnaire, se rendant à Peking en 1793, confirme ce que j'avance. « Ce n’est pas le long des fleuves, dit M. Lamiot, » que le grand nombre des habitans se fait le plus > remarquer ; car Îles bords en sont totalement » négligés et abandonnés. On rendroit de grands > services au commerce , si l’on faisoit usage à la » Chine , des moyens qu’on emploie en Europe » pour flentretien des fleuves ; mais comme on
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86 OBSERVATIONS
> n’en prend pas de soin, ils s'étendent très-loin » dans les terrains plats, et il reste même encore » beaucoup de terre qu'on ne cultive pas, crainte » des inondations. »
REVENUS.
Les Chinois sont très-inexacts dans jes états qu'ils donnent des revenus de leur pays, et cela doit être ; car, intimement persuadés de sa richesse et de sa puissance, ils sont encore plus portés à les exagérer. Un étranger doit donc s'attendre à recevoir autant de comptes différens qu'il consul- tera de personnes ; et c'est-là la vraie cause pour laquelle ies auteurs qui ont traité cette matière sont si peu d'accord dans Îeurs rapports.
Le P. Trigault dit que les revenus sous Chin- tsong , en 1587, surpassoient annuellement ja somme de cent cinquante millions.
Nieuhoff, en 165$, les porte à huit cent trente> deux millions.
Le P. Magalhens avance que , d’après je relevé des livres Chinois, il entroit, en 1688 , dans les trésors de Fempereur, vingt millions quatre cent vingt-trois mille neuf cent soixante-deux écus d’ar- gent. En supposant que ja valeur d’un écu fùt de quatre francs, suivant l'estime des Portugais à cette époque , les vingt millions donneroient quatre- vingt-un millions six-cent quatre-vingt-quinze mille
SUR LES CHINOIS. 87 huit-cent quarante-huit livres ; et en y ajoutant deux cents millions pour l'impôt sur le riz, le sel, la soie, &c. , les revenus seroiïent alors de deux cent quatre-vingt-un millions six cent quatre-vingt- quinze mille huit cent quarante-huit livres.
Le P. Le Comte, qui écrivoit presque dans le mème temps , dit que jes revenus en argent s'élevoient à vingt-deux millions decus de quatre francs, ce qui fait quatre-vingt-huit millions : or, en y joignant les deux cents millions sur le riz , la soie , &c., le total des revenus seroït de deux cent quatre-vingt-huit millions, somme presque égale à celle énoncée par le P. Magalhens.
Les Anglois qui étoïent à la Chine en 1794, font monter le revenu , sur l'autorité de notes Chinoises , jusqu’à quatorze cent quatre-vingt-cinq millions. Cette somme est bien différente de celle de deux cent quatre-vingt-huit millions ; mais si les Anglois et Nieuhoff ne sont pas d'accord avec es missionnaires , c'est que Îles premiers s'en sont rapportés aux comptes donnés par Îes Chinois, qui, par amour-propre ou pour toute autre raison, ont jugé à propos de les exagérer, au lieu que les derniers les ont vérifiés dans les livres.
If est à propos cependant d'observer que Pétat des revenus à lépoque dont les missionnaires. ont parlé, ne doit plus être le même pour le temps actuel, le mode de perception ayant été
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48 OBSERVATIONS changé sous l'empereur Yong-tching , qui fit subs- tituer la taille ou impot sur les terres à la capitation , pour éviter l'incertitude et les variations du pro- duit, ou plutôt pour retirer un impôt plus consi- dérable, puisque la capitation de deux mas par personne, prélevée, sous le règne de Kang-hy et de ses prédécesseurs, sur cinquante-huit millions de contribuables , depuis l'âge de vingt jusqu'à soixante ans, ne procuroit qu'un revenu de quatre- vingt - sept millions. Néanmoins , on ne peut supposer que Île gouvernement, en changeant ancienne manière de percevoir les impôts, ait pu prendre des moyens capables d'élever subitement les revenus de l'empire, de la somme de deux cent quatre-vingt-huit millions à celle de quatorze cent quatre-vingt-cinq millions. Cette dernière évalua- tion est trop forte, et ce que rapporte M. Barrow le confirme //a).
« L'empereur actuel Kia-king , dit-il, quoiqu'il » se fût emparé des immenses trésors du premier » ministre de son père, et qu'il eût levé d’autres » sommes , fut obligé d'accepter trois millions » sept cent cinquante mille livres des marchands de » sel de Quanton , et d'envoyer vendre dans cette » ville des perles, des agates et difiérens effets pré- » Cieux, afin de subvenir aux frais nécessaires pour
(a) Barrow, édition Angloise, page 40;.
SUR LES CHINOIS. 89 » soumettre les rebelles d’une province de l’ouest.»
Comment croire, d’après ce passage , aux énor- mes revenus de l'empereur, puisque, malgré ses richesses prétendues, il se trouve embarrassé , même avec l'addition des biens confisqués sur je Ho-tchong-tang ! Il y a lieu de penser que les mandarins qui voyoient les Anglois avec inquié- tude et jalousie, et qui connoissoient leurs éta- blissemens dans l'Inde, leur ont fourni des états exagérés, dans l'intention de représenter ja Chine comme un pays riche , peuplé et capable de se défendre. D'ailleurs, les Chinois ayant fait monter le nombre des soldats à dix-huit cent mille, ont été obligés de forcer proportionnellement les revenus pour trouver la somme de onze cents millions nécessaire à l'entretien d'une telle armée. Je vais proposer un compte un peu différent, mais plus approchant de la vérité.
Un édit de l'empereur, publié en 1777, recon- noit que ie tribut en argent levé sur tout l'empire monte à deux cent six millions neufcent cinquante- cinq mille livres ; mais comme il est d'usage à la Chine de payer les impôts moitié en argent et moitié en nature, cette somme de deux cent six millions neuf cent cinquante-cinq mille livres ne sera donc que ja moitié de Fimpôt , dont le total s’élevera à quatre cent treize millions neuf cent dix mille livres.
90 OBSERVATIONS
L’impôt est le dixième de l'évaluation des terres; mais on doit croire que cette évaluation ne peut être que modérée, puisqu'il faut en déduire tous les frais que nécessitent ja culture en général. En effet, si on calculoit à quelle somme peut s'élever le dixième du produit brut de près de six cents millions d’arpens de terres labourables, on trou- veroit sans doute que cette somme seroit beaucoup plus considérable que celle qui est indiquée dans l'édit de 1777 : mais cette évaluation n'étant fixée que d’après le produit net, le revenu rentre alors dans une somme moyenne, qui est, comme je iai dit plus haut, de quatre cent treize millions neuf cent dix mille livres.
Tous ceux qui ont parlé des revenus de ja Chine, disent positivement qu’on prélève un se- cond dixième sur ja récolte du riz, dans la pro- vince de Quang-tong; mais quoiqu’ils n’aient point fait mention du Quang-sy , où lon fait cependant deux récoltes , ïl est à propos de comprendre cette province. En supposant donc un degré et demi en latitude, donnant trente-sept lieues , sur un peu plus de neuf degrés en longitude , à vingt - trois lieues au degré sous le parallèle des provinces de Quang-tong et de Quang-sy , faisant deux cent dix - huit lieues, on aura huit mille soixante - six lieues carrés , ou quarante millions trois cent trente mille arpens, qui, à quatre pics chacun,
SUR LES CHINOIS. 91 produiront cent soixante-un millions trois cent
vingt mille pics, dont le dixième,
seize millions
cent trente-deux mille pics, est envoyé en partie
à Pekin g- Récapitulation.
On aura donc pour la moitié de l'impôt perçu enargent, suivant l'édit de1777.. 206,95 5,000"
Pour ja seconde moitié levée en 和 Pour le second dixième prélevé en nature dans le sud, donnant seize millions cent trente-deux mille Pics A dE PACE. sinus. Pour les douanes sur le sel, le ChHArDONS res ras teste Pour les droits sur le commerce des étrangers à Quanton fa).....
Il faut ajouter à cette somme le tribut qu’on lève sur ja soie et les étoffes d’autres matières. Le P. Kir- cher, dans sa China illustrata , donne un relevé de ce que paie chaque province, et ne porte je tribut sur la soie qu’à cent quatre-vingt-onze
206,955,000.
161,320,000.
4 8 047,670.
6,000,000.
629,277,670.
{a) Ces droits sont pour l'Empereur.
92 OBSERVATIONS
De l'autre part... ........ 629,277,670.
mille cinq cent trente livres pe- sant de cette matière. Le P. du Halde met la même quantité, mais il en ajoute une autre de quatre cent neuf mille huit cent quatre- ving-seize livres de soie travaillée. En général les états des tributs de chaque province, varient suivant les différens auteurs qui en ont parlé. Il en est qui les ont portés très-haut sans entrer dans aucun détail, tandis que d’autres qui en ont fait l'énumération, les ont éva- Jues beaucoup plus bas. Le P. du Halde fixe à trente-deux millions de taëls , ou deux cent quarante millions de livres, le tribut seul du Kiang-nan, sans spécifier sur quoi il est prélevé , pendant que plu- sieurs écrivains ne l'estiment qu'à cinquante miilions, en y compre- nant l'argent et je riz. L'impôt pré- levé sur ja soie dans le Tchekiang, est plus fort que dans le Kiang-nan; mais au total je tribut de ja première
629,277,670.
SUR LES CHINOIS. 93 Ci-contre. us ssssrvoses 0292776070.
province, est plus foible que celui de la seconde, parce que celle-ci est plus grande. En prenant donc un milieu entre tous ces différens rapports, on peutévaluer à quarante millions l'impôt sur les soies et les cotons ; et si l'on y joint celui sur les vernis, le musc , la porcelaine et les autres objets, le total s’éle- vera à cinquante millions et plus. Supposons . ..。...........-...
$0,722,330"
Le TOTAL des revenus sera de...
J'ai dit plus haut qu’on payoit au- trefois une capitation qui fut chan- gée en taille sous Yong-tching ; cependant cette capitation existe encore en partie; car outre qu'il en est fait mention dans certains au- teurs , je l'ai vu moi-même exiger des marchands, des artisans et des domestiques. Une preuve d’ailleurs que cette capitation a lieu , c'est que dans le nombre des mandarins ap- partenant aux villes , il y en a un qui est désigné comme receveur
680,000,000.
680,000,000.
94 OBSERVATIONS De l'autre part. ..…......... 680,000,000°
des boutiques. Quoiqu'on lise dans les Mémoires sur la Chine, que les impôts pèsent seulement sur fagri- culture , il n’est pas croyable que les marchands et les artisans ne paient rien ; car il en résulteroit qu'un grand nombre de personnes abandonneroiïent Tetat d'agricul- teur. En portant donc Fimpôt sur les marchands , à trente millions qu'on ajoutera aux revenus de jem-
pire, c’eux-ci s’éleveront à...... 710,000,000 er
f
De cette somme de sept cent dix millions, il n'est prélevé pour l'empereur que-ce qu'il faut pour ses besoins en riz, en provisions, en soie et autres objets ; le reste entre dans les trésors des pro- vinces , sert à payer les mandarins et les troupec, et est destiné à subvenir à toutes les dépenses de l'État.
L'empereur possède beaucoup de terres le Iong de la partie de ia grande muraïlle Ja plus voisine de Peking ; elles [ui appartiennent en propre et à sa famille , et sont Jouées à des fermiers qui en paient le fermage , soit en denrées, soit en argent. Outre ces terres, l’empereur entretient au-delà de la grande muraille, de grands troupeaux et des
SUR LES CHINOIS. 9$ haras, dont le produit en argent est versé dans les coffres du palais : l'empereur s’en sert pour son en- tretien, car ce prince ne vit que sur le produit de ses domaines , et laisse en grande partie dans le trésor public les sommes qui proviennent des re- venus de l'État,
H est difficile d'estimer le produit des domaines de l’empereur : on peut le supposer très-considé- rable , puisqu'il suffit à ses dépenses personnelles ; mais quel qu’en soit le montant , si lon y ajoute le produit du Ginseng, les confiscations, les sai- sies des biens , et les riches présens que l'empereur reçoit des mandarins , on pourra évaluer le tout” à environ cent millions , qui, ajoutés aux revenus de l'État, fixés ci-dessus à sept cent dix millions, formeront un total de huit cent dix millions. Cette somme n’atteint pas encore les quatorze cent quatre- vingt-cinq millions dont parlent les Anglois ; mais ces voyageurs ont été induits en erreur par les Chi-, nois qu’ils ont consultés ; et pour prouver combien il est facile de se tromper en suivant aveuglément les rapports de ceux-ci , je vais faire voir les fautes de calcul qu'ont commises , d’après eux, certains missionnaires.
Le P. du Halde, et plusieurs auteurs avec lui, disent que l'empereur a neuf mille neufcent quatre- vingt dix-neuf barques, appelées Leang-tchouen [ barques des vivres ], qui portent tous les ans à.
96 : OBSERVATIONS Peking, quarante millions cent cinquante -cinq mille quatre cent quatre-vingt-dix sacs de riz de cent vingt livres chacun , ce qui fait quatre milliars huit cent dix-neuf millions de livres de riz : or, pour conduire cette quantité , il faudroit quarante- huit mille cent quatre-vingt-six barques , puis- qu’elles ne portent chacune que huit cents pics [98,400 livres |, et ne font qu'un seul voyage. Les Chinois parlent bien de neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf barques; mais les man- darins nous ont assuré qu'ils n'en avoient jamais vu ou compté au-delà de quatre à cinq mille. M. Van- braam , qui a adopté le même nombre de neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf barques, en con- clut qu’on envoie des provinces à Peking sept cent cinquante millions de livres de riz; mais pour les porter il faudroit au moins sept mille six cents barques , et il est reconnu qu’elles n'existent pas. La vérité est que l'empereur ne fait venir à Peking, ni cette dernière quantité de riz, ni celle men- tionnée par le P. du Halde; elle y seroit inutile, et je m'en vais en donner ja preuve : si l'on sup- pose un million d'habitans dans cette capitale, ïl ne leur faudra pour une année, à deux livres de : riz par jour pour chaque individu, que sept cent trente millions de livres ; et certainement lempe- reur ne nourrit pas toute ja ville. On voit claire- ment que le P. du Haide et M. Vanbraam se sont trompés |
SUR LES CHINOIS: 7 trompés dans leurs calculs : ce dernier ajou de plus, que cette quantité de riz sert à payer ja plus grande partie des troupes Chinoises , et celles qui sont attachées à la cour; mais il ne fait pas réflexion que l’armée est répandue dans tout l'empire, et qu'elle y reçoit sa nourriture ; ïl n’est donc pas nécessaire d'envoyer à Peking Îles sept cent cinquante millions de livres de riz, puisque ceux qui doivent les consommer n’y demeurent pas. |
L'empereur entretient à Peking cinq mille man- darins, auxquels il fait délivrer du riz, de l'argent et du sel; en y ajoutant jes Tartares des huit ban- nières, qui sont au nombre de quatre-vingt mille, les eunuques et les gens du palais , le total des personnes entretenues par l'empereur, sera de cent mille, pour lesquelles il faudra par année, x deux livres de riz chacune par jour, la quantité de soixante -treize millions de livres pesant da riz, dont le transport exigera seulement neuf cent douze barques. Mais, quand on supposeroit que Jempereur donne des vivres au double de per- sonnes, et même au quadruple, ce qui n’est pas probable, cela ne demanderoit encore que trois mille six cent quarante-huit barques , nombre fort au dessous de celui de neuf mille neuf cent quatre- vingt-dix-neuf. Il est facile de se convaincre, par ce calcul, que les Chinois, en parlant des richesses
TOME III. G
98 OBSERVATIONS
de leur pays , et principalement de celles de l’em- pereur, emploient toujours des termes emphati- ques; ils ont pensé, par exemple , que le nombre neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, rendu très-longuement dans leur langue, - exprimeroit beaucoup mieux ja richesse du souverain, que Pénumération plus simple de quelques milliers. Hs ont également exagéré [a quantité des barques appelées Long-y-tchouen, occupées à transporter. les pièces de soie destinées pour l'usage de la cour. Il y en a, disent-ils , trois cent. soixante- cinq ; mais en adoptant 4 nombre , et évaluant la charge de chaque barque à cinq cent mille francs, elles porteroient en soie , en coton et autres objets, une valeur de plus de cent quatre- vingt-deux millions , somme qui surpasse de beau- coup Île terme assigné par plusieurs auteurs, au tribut des provinces , en soie, coton et autres productions.
1 résulte donc qu'il ne faut pas adopter sans examen tout ce que les Chinois racontent de leur pays, ou du moins qu’il est nécessaire de je ré- duire à sa juste valeur. Le P. du Halde , dans ce qu'il dit de fervoi à Peking de quarante millions de sacs de riz, a fixé trop haut le poids du sac. L'usage à la Chine est qu’il faut quatre boisseaux pour former un sac; or, le poids du boisseau n'é- tant que de dix livres chinoises , le sac ne pèse
SUR LES CHINOIS. 09 que quarante livres /a), et non cent vingt. D’a- près cela, les quarante millions de sacs du P. du Halde, au lieu de donner quatre milliardsde livres pesant de riz, n’en donnent plus qu'un milliar neuf cent soixante et quinze millions , ou seize millions soixante - deux mille cent quatre-vingt- seize pics, qui, à dix francs le pic , font cent soixante millions en argent, somme égale à celle que j'ai assignée pour le produit du second di- xième de la seconde récolte des provinces mé- ridionales.
On se persuadera aisément, d’après ce que je viens de dire, que les revenus de l'empire Chi- nois sont considérables, maïs bien au-dessous du montant de ja note remise par les mandarins aux Anglois; et pour s’en convaincre encore, il suffit de considérer le produit des douanes. Les droits détaillés, province par province , dans louvrage des missionnaires , ne donnent, selon eux, que quarante-huit millions. Si, dans un pays aussi vaste que la Chine, où le commerce intérieur est très-actif, les douanes ne rendent que quarante- huit millions, on doit en conclure que les autres revenus suivent fa même proportion , et qu'ils sont loin par conséquent d'atteindre quatorze cent quatre-vingt-cinq millions.
(a) Mission. , rome WII, page 66; ct tome IX , page 458. G 2
d
100 OBSERVATIONS
Les douanes d'Écosse et d’ Angleterre ont rendu, en 1796 , une somme de cent quarante - trois millions cinq cent quatre-vingt-douze mille sept cent quatre - vingt - quinze livres /a), c'est -à- dire, trois fois autant que le produit des douanes dans toute la Chine. D’après le compte de 1796, le rapport des douanes aux revenus de ja Grande- Bretagne , est comme un à quatre. On conçoit sans peine que les Chinois n'ayant pas autant d'expérience que les Anglois dans la manière de lever les droits, on ne peut établir à la Chine la même proportion qu'en Angleterre ; cependant le rapport des douanes Chinoises aux revenus de iempire en supposant ceux-ci de quatorze cent quatre-vingt-cinq millions , n'étant que comme un à trente, ce rapport est trop disproportionné pour ne pas démontrer visiblement que ce pré-
tendu revenu est extrêmement exagéré et invrai- semblable.
DÉPENSES.
LE dixième de l'impôt sur les terres suffit pour payer tous les officiers ; je suis en cela d'accord avec les Anglois : ainsi il faut poser pour ia paye des mandarins supérieurs , soit civils, soit mili- taires, et pour celle des sous-officiers, la somme
(a) Tableau de {a Grande-Bretagne, rome 111, page 435.
SUR LES CHINOIS. or D ss radins. 7021000
Pour sixcent mille soldats de pied,
à trois taëls par mois, moitié en
argent et moitié en vivres...... 162,000,000. Pour deux cent quarante-deux
mille cavaliers , à quatre taëls par
mois , moitié en argent et moitié
GO Pour ia remonte des chevaux,
estimée être l'équivalent du dixième
de [a valeur de deux cent qua-
rante mille chevaux, à vingt taëls
chacun, faisant quatre millions huit
cent quarante-quatre mille taëls,
ou trente - six millions trois cent .
Huile francis sic isa irons -3,630,000% 36hve sv: Les uniformes , pour huit cent
quarante - deux mille soldats, à
quatre taejs chacun............ 25,260,000. Les armes, &c. pour huit cent
quarante - deux mille soldats , à un
RABE ChAGUN ns éneeix 6,315$,000. La marine , les bateaux...,.. 100,000,000. Les canaux....,........... 30,000,000. Les forts , l'artillerie. ..,.,... 28,175,000.
ToTAL des dépenses... 500,000,000° Saus2t9 0 J'ai dit précédemment que les revenus peuvent
G 3
102 OBSERVATIONS
être évalués à ............... 710,000,000 Les dépenses sont de......... $00,000,000.
下 NS
Cet excédant, presque égal à celui de deux cent soixante-dix millions , fixé par les Anglois et par les missionnaires, rentre dans ie trésor de l'État : à l'exception de ce que se réserve l'empereur, et dont il est difficile d'estimer avec précision ja quantité; mais on peut supposer qu'ayant ja toute- puissance en main ce prince fait verser dans son trésor particulier ia somme qu'il lui plaît ; par conséquent, quel qu’en puisse être je montant, si on je joint au produit des domaines impériaux , et aux autres rentrées, il est hors de doute que ce qui forme le revenu proprement dit de l'empereur, est d'une grande valeur.
Lorsque j'avance que, sur les deux cent dix mil- lions qui excèdent les dépenses du gouvernement, il n’en entre qu’une portion dans le trésor du pa- lais, je suis du même sentiment que la plupart. des écrivains instruits qui ont traité cette matière : ils disent, avec raison, qu’on réserve dans chaque ville un fonds proportionnel à ses besoins, et que lexcédant seul est envoyé à Peking.
Il est difficile, pour ne pas dire impossible , d'avoir des notions exactes sur Îles revenus de Fem- pie de la Chine : premièrement , parce que les
SUR LES CHINOIS. 103 Chinois se contredisent; secondement, parce que la plupart de leurs comptes sont exagérés ; en troi- sième lieu, parce que personne à la Chine n'ose- roit écrire des choses qui pourroient devenir pré- judiciables aux intérêts des mandarins , dont ja sûreté personnelle dépend du bon état réel ou pré- tendu des provinces.
Les écrivains Chinois qui font la description des provinces , parlent donc toujours en faveur des mandarins ; et ceux-ci, pourvu que ces rap- ports plaisent à l'empereur et leur attirent ses bonnes grâces, s’embarrassent peu qu'ils soient ‘vrais ou supposés.
POLICE DES VILLES.
LES portes des villes Chinoises s'ouvrent at soleil levant et se ferment à la nuit, et des soldats y sont toujours postés en sentinelle pendant je jour, pour veiller sur ceux qui entrent et qui sortent. Les villes sont divisées par quartiers, dont chacun est sous l'inspection d’un chef, chargé de maintenir l'ordre et d'informer le mandarin dès qu'il y survient quelque chose d’extraordinaire. Malgré cette surveïllance établie, malgré le soin qu'on a de fermer à la nuit, par dés barrières, les rues de traverse, et quoique Îles ordonnances pres- crivent à tous Îes citoyens de se secourir récipro- quement en cas d'accident, les voleurs trouvent
G 4
104 OBSERVATIONS cependant les moyens d’exercer leur adresse, sur- tout lorsque le feu prend quelque part. Dans ce dernier cas, toutes les barrières s'ouvrent, les Chi- nois accourent de tous côtés, les uns pour re- garder, peu pour porter du secours, et le plus grand nombre pour piller ceux qui se sauvent avec leurs effets. Ces malheureux, il est vrai, s'arment, dans leur fuite, de sabres ou d'épées pour se défendre ; mais leur air effrayé enhardit les voleurs, qui les attaquent et leur enlèvent leur dernière ressource. À Quanton, aussitôt qu’un in- cendie s’est déclaré, les mandarins et les soldats se transportent sur les lieux, maïs ils ne font rien pour iarreter ; le feu ne s'éteint que de lui-même, lors- qu'il n’y a plus rien à brûler, ou lorsque les Eu- ropéens parviennènt à s'opposer à ses progrès. Dans une de ces occasions j'ai traversé seul une grande partie des faubourgs de cette ville, sans que personne s’y soit opposé ; car les Chinois voient alors avec plaisir les étrangers et les jaissent pénétrer par-tout. Mais, si c’est dans la ville que je feu prend, la méfiance des mandarins l'emporte sur le danger; ils n’appellent aucun secours , et Fincendie ne cesse qu'avec la destruction totale des maisons.
Une des ordonnances de jia police Chinoise dé- fend à toute personne quelconque de sortir le soir sans lumière ; cette précaution paroît, au premier
SUR LES CHINOIS. 105 coup d'œil, sagement établie; mais elle donne lieu à des accidens très - 位 cheux。 Les Chinois ne se servent pas toujours de lanternes ; ils emploient souvent des torches faites de bois tortillé et rési- neux , qui brûle facilement. On ne s'imagineroit pas avec quelle négligence ils les portent : j'ai vu plusieurs fois à Quanton la rue pleine de flam-
mèches , soit qu’elles fussent emportées naturel- lement par le vent, soient qu'elles fussent déta- chées par lagitation que l'on donne de temps en temps à ces espèces de flambeaux pour les tenir allumés. Si la police étoit aussi bien faite qu’on le dit, on les défendroit sévèrement ; mais Îles Chinois sont des gens d'habitude ; Ja coutume est tout pour eux, et quels que soient les inconvé- niens qui en résultent, ils ja suivent toujours. Heureusement qu'on sort peu le soir dans les villes, à moins qu’on n'ait des affaires pressées : on rentre de bonne heure, et lorsque ja nuit est un peu avancée, on ne rencontre plus per- sonne , d'autant plus que les treillis de bois pla- cés à l'entrée des rues de traverse sont fermés (n° 11).
Les soldats marquent les veilles de la nuit en frappant sur une cloche ou sur un tambour. Tout particulier qui possède quelque chose capable de tenter Îles voleurs, a soin de faire monter la garde chez lui par ses domestiques : ceux - ci
106 OBSERVATIONS
frappent sur de petits bâtons, pour indiquer qu'ils ne sont pas endormis , et par-là ïls écartent les fjoux , qui vont chercher aïlleurs des personnes moins vigilantes. Cette surveillance dure jusqu’au jour ; car aussitôt qu'il paroît, les rues se rem- plissent de monde et Îles voleurs sont moins à craindre.
La police se fait assez bien à ja Chine, parce qu'il'est facile à quinze ou vingt personnes réunies d'en arrêter une; j'ai vu néanmoins des occasions où, malgré les ordres exprès du gouvernement , les soldats n’ont pu parvenir à s'emparer de Tin- dividu qu'ils cherchoïent. Les missionnaires ont . un peu exagéré , lorsqu’en parlant de ja police en général, ils ont avancé que les signaux se ré- pandent dans tout l'empire aussi rapidement que dans un camp, et que dans un instant un coupable y est poursuivi et arrêté /a). Cette assertion est hors de vraisemblance, attendu que les corps-de- garde ne sont pas tous placés à une distance égale, et que leur position respective les empêche très- souvent de se voir ou de distinguer les signaux. Nonobstant les précautions prises contre les vo- leurs, il s'en trouve un assez grand nombre, et les soldats qui sont chargés de la police des villes, ne réussissent pas toujours à s’en rendre maîtres. Ces
(a) Mission. , tome VIIT, page 1# 5.
SUR LES CHINOIS. 107 soldats n'ont que des fouets , le port d'armes n'étant permis qu'aux gens de guerre en fonction : aussi voit-on peu de scènes sanglantes dans les rues ; et si les gens du peuple , après s'être injuriés, en viennent aux coups , ils ont grand soin d'éviter l'effusion du sang.
Les Anglois ont écrit dans leur relation, que les disputes entre les Chinois se terminent par le dé- chirement des habits ou par la perte du Penzé /a): c'est une erreur ; car à la Chine, le plus grand affront qu’on puisse faire à quelqu'un, est de lui couper son Penzé ; et, dans un cas pareil, l'of- fensé pourroit se porter à des voies de fait.
Lorsque Îles Chinois se battent, ils ont ja pré- caution doter leurs habits et de rouler leur Penzé autour de ja tête; mais ils n’en viennent à cette extrémité qu'après s'être dit beaucoup d'injures. En général , les gens du peuple sont plus portés à crier qu'à se battre; et je ne me rappelle pas avoir vu, dans tout le cours de mon voyage, qui que ce soit en venir aux mains.
Je ne sais comment le P. de Fontaney, en par- jant des habitudes Chinoises , a pu dire que, se trouvant dans un endroit étroit et rempli de porte- faix qui s’embarrassoient réciproquement dans [eur
{a) Espèce de queue formée des cheveux que les Chinois ne laissent croitre que sur le derrière de la tête.
108 OBSERVATIONS
marche, il s’attendoit à les voir passer des injures aux coups, comme font ceux d'Europe en pareille circonstance , mais que , tout au contraire, ils se saluèrent, se parlèrent très-raisonnablement , et qu'après s'être aidés mutuellement, ïls se quit- tèrent avec beaucoup de politesse. Ce récit n'est pas plus exact que ce qu’on rapporte sur la police de Peking.
Les rues de cette capitale sont beaucoup plus larges que celles des villes de province ; maïs si elles ont cet avantage , elles ont le défaut, n'étant point pavées , d’être remplies de poussière ou de boue. On y rencontre un grand nombre d'hommes dans certains endroits. Les femmes y vont plus librement qu'ailleurs, et nous en vimes plusieurs : mais parmi cette quantité de personnes qui vont et viennent dans Peking , il ne faut pas croire, d’après certains missionnaires, que c’est à ceux qui sont à cheval ou en voiture à prendre garde de toucher Îes passans, et non à ceux-ci à se dé- ranger, et que les grands même craindroiïent de heurter un vendeur d’allumettes. Tandis que nous marchions dans les rues de Peking, nous fûmes témoins que les passans laissoient la voie libre aux charrettes, et sur-tout aux grands; nous remar- quâmes que ceux qui étoient en voiture ou à cheval, non-seulement cédoient je chemin à ces derniers, mais encore qu’ils mettoient pied à terre.
SUR LES CHINOIS. 109 Comme nous revenions de chez l'empereur, les soldats qui nous accompagnoient, poussoient ru- dement et coudoyoient indistinctement tous ceux qui obstruoient le chemin. II y a loin de [à à l’at- tention dont parlent les missionnaires , et les pas- sans qui se dérangeoient pour nous, étoient bien forcés de le faire pour leur propre sûreté. Cette politesse qu’on a tant vantée dans les Chinois, ne s'exerce pas toujours librement, et souvent elle est exigée d’une manière si absolue, qu'il est impos- sible qu'elle n'ait pas lieu. Le motif qui fait faire certaines choses dans ce pays, n'est pas toujours tel qu’il paroît au premier coup d'œil. Les filles publiques, par exemple, suivant plusieurs auteurs, n'habitent pas l'intérieur des villes, et cela, disent- ils, par décence. Il est certain que ces femmes vivent dans les faubourgs ou sur les rivières ; maïs croire que ce soit par un motif de decence c’est se tromper. Les bateaux occupés par des filles pu- bliques / 4), soit à Quanton, soit dans les autres lieux où j'en ai rencontré , sont rangés à côté les uns des autres : tout le monde les voit, ainsi que les hommes qui les fréquentent. Les gens riches font des parties de plaisir sur ja rivière, dans des barques faites exprès, et y appellent autant de filles
{ a) Ces femmes vivent plusieurs ensemble , sous la direction d’un homme qui répond de leur conduite,
110 OBSERVATIONS
qu’ils en veulent : c’est une chose reconnue et qu'on a journellement sous les yeux. Je ne crois pas, d'après cela, qu’on puisse dire que c’est par décence que les filles publiques ne vivent pas dans l'enceinte des villes ; il s'en faut de beaucoup.
JUSTICE.
LES Chinois ont un corps de lois relatives aux délits et aux peines. Quant aux affaires civiles et à tout ce qui concerne ja propriété, ils ont des ordonnances rendues par diflérens empereurs. C’est au souverain seul qu'appartient le droit de changer les lois ou d'en créer de nouvelles. La famille régnante qui a expulsé du trône la dynastie Chinoise, a fait rassembler tous Îles édits de Chun- chy et de Kang-hy, et en a formé un recueil ap- pelé Ta-tsing-hoei-tien, qui contient les régle- mens pour chacun des grands tribunaux de Peking, c’est-à-dire, pour la famille impériale, pour les mandarins , les finances , les cérémonies, la guerre, les crimes et les travaux publics. Les Tartares ont en outre composé un traité particulier pour les crimes. Ce livre, intitulé Ta-tsing-lu-ly, parle des: cinq supplices actuellement en usage à fa Chine ; il spécifie les fautes et les crimes, et détermine fa manière dont les gens en place doivent se con- duire. Les décrets de l’empereur et de ses prédé- cesseurs , ainsi réunis, forment une espèce de code
SUR LES CHINOIS. TIT qui sert de guide aux mandarins , et d'après ie- quel ils rendent leurs jugemens.
La justice est gratuite ; les mandarins sont payés par le gouvernement ; il leur est défendu de voir les plaïdeurs dans le particulier, ni den recevoir aucun présent ; ils doivent être à jeun, ou du moins n'avoir pas bu de vin lorsqu'ils vont à leur wibunal /4). Les affaires se traitent publiquement ; chacun plaide sa cause de vive voix, ou l'expose par écrit. La profession d’avocat est inconnue dans ce pays; elle n’y est même pas permise, et un tiers qui s’immisceroit dans une cause quelconque pour lui donner un tour plus favorable ou contraire à fa vérité, s’exposeroït à Ja bastonnade s'il s’agissoit d’une affaire civile, et à une peine plus grave et analogue à celle du coupable, s’il s’agissoit d’une affaire criminelle; car chez Îles Chinois la vio- lence et l'homicide sont punis avec la plus grande rigueur.
Les procès en matière de police se terminent rapidement, sur-tout si le mandarin a été témoin du délit; if n'attend pas qu’on lui rende une plainte ; il n'envoie pas le prévenu en prison pour compa- roitre au bout d’un long terme devant un tribunal composé de plusieurs juges : il linterroge ; il fe
(a) Chaque magistrat a ses assesseurs, ses greffiers, ses huis- siers, qui composent son tribunal, appelé en chinois Ya-men,
112 OBSERVATIONS
jupe à Pinstant, et le fait punir par les bourreaux qui marchent toujours à sa suite. On étend par terre le coupable , on lui applique un certain nombre de coups de bambou, suivant la déci- sion du mandarin , et on le relâche aussitôt, en lui laissant fa liberté d'aller où bon lui semble , si toutefois la manière dont il vient d’être fustigé le lui permet. Il faut avouer qu'une justice aussi prompte conviendroit dans plusieurs endroits , et qu’elle diminueroit de beaucoup le nombre des fri- pons et des voleurs.
Lorsqu'un particulier a éprouvé quelque vio- lence ou quelque injustice , il porte sa plainte au mandarin du lieu qu'il habite, et si c’est dans une ville , il s'adresse au gouverneur. Il faut observer que lorsque les villes sont grandes, elles sont divi- sées en deux villes du troisième ordre, qui ont chacune leur Tchy-hien ou gouverneur, dont les juridictions ressortissent au Tchy-fou, ou gouver- neur des villes du premier ordre. Les appels des sentences des Tchy-fou vont devant les Tao-ye, ou gouverneurs de districts, et de la, suivant les di- vers Cas , ils passent sous jes yeux du Pou-tchin- sse , ou du Ngan-cha-sse ; ils sont ensuite revisés par le Tsong-tou , et même renvoyés après, selon l'exigence des affaires , par devant l'une des six cours souveraines de Peking. Une sentence ne peut être
définitive que lorsque les preuves sont complètes. Une
SUR LES CHINOIS. 113 Une fois examinée par lun des grands tribunaux de ja capitale, et approuvée par l'empereur, elle est irrévocable. Dans toute affaire on peut s'adresser directemeñt au vice-roi, sans passer par jes juges intermédiaires , qui, dans cette circonstance, ne peuvent plus s’en mêler ,.à moins que l'affaire ne leur soit renvoyée, ce qui arrive ordinairement, Si le mandarin approuve la requête, if y met un point rouge ; elle reçoit alors son exécution. Dans ies affaires compliquées, on procède par écrit, on en- tend les témoins , et je juge motive sa sentence. Dans les causes criminelles , on fait venir les té- moins, on les. confronte, on les interroge séparé- ment, on tire fa vérité par toutes sortes de moyens, et l’on écrit toute ja procédure. En affaire civile, le pouvoir du magistrat supérieur est absolu et sans appel, à moins que je cas ne soit assez majeur pour être porté à Peking, ce qui est rare ; mais en affaire criminelle , la sentence et le procès sont envoyés à la capitale, où les pièces passent par plu- sieurs tribunaux subordonnés les uns aux autres, et qui ont le droit de revoir le procès avant qu'il soit jugé définitivement. :
Cette manière de rendre la justice est bien en- tendue, et lon voit que le législateur , en l'insti- tuant, a cherché à prévenir la corruption des juges; mais malheureusement tous les magistrats ne sont
pas intègres , et les plaideurs trouvent les moyens TOME III. H
114 OBSERVATIONS
de jeur faire remettre de l'argent; car dans ce pays, comme dans bien d’autres, les présens font beau- coup, et ce n’est pas toujours au bon droit que Fon doit le gain d'un procès,
Les Chinois, du temps de Confucius , avoient cing sortes de supplices ; 1.° une marque noire imprimée sur le front, 2.° l'amputation du bout du néz, 3.° celle du pied ou du nerf du jarret, 4.° Ja castration , 5.” Ja mort, Le Code des lois de la dynastie régnante ne parle pas de ces supplices. Les condamnations en usage, sont la bastonnade, la cangue, l'exil , le tirage des barques, et la mort.
La peine de la bastonnade est très -fréquente ; on la donne pour ja moindre faute ; maïs elle ne peut être infligée à un mandarin ou à tout homme décoré d’un bouton. I est rare qu'un Chinois ap- pelé en justice pour quelque affaire, puisse éviter la bastonnade ; mais il est deux moyens de s'y soustraire : le premier est de se faire remplacer ; car, dit le P. Lecomte /a), il y a des gens tout prêts à recevoir des coups pour les autres. Cette assertion , qu'on aura de la peine à croire, est Ce- pendant très-vraie : en effet, les personnes aisées, même celles de ia classe ordinaire du peuple, qui n'ont pas reçu de [la nature des ouisses ca- pables de supporter cette punition, trouvent des
(a) Tome 11, page 7e.
SUR LES CHINOIS. 11f hommes qui, dans les affaires épineuses , se pré- sentent à leur place et s'exposent à tous les in- convéniens qui peuvent en arriver ; il est vrai que ceux-ci étant largement payés dans une pareille cir. constance , usent du second moyen pour euder la bastonnade, et que voici : lorsque le patient est étendu par terre, et que les bourreaux sont près de frapper, il lève les doigts, dont chacun exprime une dixaine de deniers ; les soldats, qui com- prennent très-bien ces signes, semblent frapper de toute leur force, mais ils font toucher à terre l'extrémité du bambou, et fa cuisse n’est que lé- gèrement eflleurée : pendant ce temps le patient pousse de grands cris, et se retire ensuite sans avoir beaucoup souffert. On peut donc dire qu’à la Chine ily a des gens qui vivent de coups de bâton ; maïs, si dans ces occasions ils n’avoient pas les moyens de les esquiver en partie, ils ne résisteroient pas long-temps à ce métier, car*on donne la bastonnade depuis cinq coups jusqu’à cinquante, et même au-delà : ïl est rare, dans ces derniers cas, qu'un homme survive à cette exécution. La manière dont j'ai vu, pendant mon voyage, appliquer la bastonnade, est cruelle. Les bamboux ont de cinq à r de jong sur quatre doigts de largeur , et sont arrondis sur les côtés. Lorsque le mandarin est dans son tribunal, et qu'il fait punir un coupable, il a devant lui un
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étui rempli de petits bâtons longs de six pouces et larges d'un pouce, et autant qu'il en jette sur la table, autant de fois cinq coups les. bourreaux doivent appliquer au patient.
La cangue est réservée pour les voleurs et les perturbateurs du repos public ; elle est composée de deux pièces de bois plates , qui se réunissent et ne forment qu’un seul morceau percé au milieu pour passer le cou du patient. II y en a qui pèsent jusqu’à deux cents livres, et qui ont trois pieds en carré, et six pouces d'épaisseur : les cangues ordi- naires sont de soïxante -quatorze livres ; le cou- pable porte cette machine sur les épaules, de ma- nière qu’il ne peut voir ses pieds, ni porter ses mains à sa bouche, et qu’il mourroit de faim si ses amis ne venoient à son secours.
C’est une faute du dessinateur, dans les gra- vures du Voyage de M. Macartney , que d’avoir représenté je patient passant sa main à travers la cangue ; cela n’est pas possible, j'en parle pour avoir vu dans mon voyage plusieurs Chinois avec cette table de bois au cou : ces malheureux se te- noient accroupis , appuyés sur un des angles de la cangue ,et paroïgggient en être incommodés : d’autres , plus ind@iieux, se servent d’une chaise de bambou, dont les quatre pieds s'élèvent assez pour pouvoir supporter la table sans qu’elle pèse sur leurs épaules; enfin, chacun cherche à se
SUR LES CHINOIS. 117 soulager de son mieux, d'un. poids d'autant plus fatigant, qu'il faut le porter constamment sans pouvoir s’en délivrer , le juge ayant eu ja précau- tion de sceller la machine , et de poser sur ja réunion des deux pièces une bande de papier qui contient la sentence du coupable. De plus, le patient est obligé de se tenir dans les lieux qui lui sont indiqués, etde se présenter, à l'expiration du terme de sa punition, devant le mandarin, qui lui fait ôter la cangue, et le renvoie après une légère bastonnade ; car à la Chine on ne sort ja- mais d’une mauvaise affaire , sans une correction quelconque.
Il y a des crimes pour lesquels on condamne au banissement pour un, deux ou trois ans : ce bannissement est quelquefois perpétuel, sur-tout si le coupable est envoyé en Tartarie ; ceux qui y sont condamnés portent un bonnet rouge. Un fils qui accuse son père ou sa mère, même avec raison, est puni par l'exil; un homme qui doit à lempe- reur , et qui ne peut payer, est exilé à Y-ly, au- delà de la grande muraille: les fils, les petits-fils et les épouses d’un banni , peuvent le suivre dans le lieu qui lui est assigné,
La peine du tirage des barques impériales s’in- fige pour deux cents, deux cent cinquante, et trois cents lieues, suivant [a gravité du délit.
La mort se donne de deux manières, en étran-
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glant, et en coupant ja tête : ja première est ré- putée la plus douce, et ne déshonore point ; ja seconde est réservée pour les assassins ; les Chi- nois en ont une grande horreur , parce que c’est chez eux un malheur de mourir privé de l'un des membres qu’on a reçus en naissant. Ainsi le légis- lateur a su profiter de limagination foible des hommes , pour établir des différences dans un supplice qui , quoique le même au fond, change cependant, et devient beaucoup plus aggravant d'après l'opinion de celui qui le subit. Un Chinois qui en tue un autre par accident, ou en se dé- fendant; un fils qui accuse à faux son père ou sa mère ; un voleur pris les armes à ja main, sont étranglés. Le patient est lié debout contre une croix , le bourreau lui passe une corde au cou et la tord fortement par derrière avec un bâton ; il Ja lâche ensuite un instant, puis il la serre de nou- veau et le supplice est terminé.
Selon les lois établies par la famille régnante, dans le Code intitulé Ta-tsing-lu-ly, un mari qui bat sa femme et qui la blesse, est puni; s'il la tue, il est mis à mort; mais les maris battent peu leurs épouses, car il y a de ces femmes qui se pen- dent exprès pour susciter une mauvaise affaire à leur époux. Un mari qui surprend sa femme en adultère , et qui fa tue ; un fils qui dans le pre- mier moment massacre le meurtrier de son père
SUR LES CHINOIS. 119 ou de sa mère, ne sont pas poursuivis, mais äl faut qu'ils prouvent les circonstances. On coupe ja tête aux assassins, et on jexpose ensuite dans une cage suspendue au haut d’un mât élevé sur le bord d’un chemin, Pendant le cours de seize cents lieues que nous avons faites dans l'empire, nous n'avons aperçu qu’une seule de ces cages, en entrant dans le Kiang-nan.
La peine de mort ne peut s’infliger sans que le procès du coupable .ait été examiné et confirmé à Peking par l'empereur lui-même. Si le crime est grand, le prince ordonne qu'on exécute sans délai, sinon , qu'on attende jusqu’à l'automne, époque à laquelle on fait toutes les exécutions à mort. Avant de mener le patient au supplice, on lui donne un repas , et il peut se rendre sur Îa place de l'exécution , en chaise ou en voiture , s’il en a les moyens. On met aux condamnés à mort, un baiïllon à la bouche ; les juges sont présens jors- qu'on les exécute, et ja fonction de bourreau n’a rien d’odieux.
II est bon d'observer , avant de terminer cet ar- ticle, que l’homicide même involontaire étant puni rigoureusement à la Chine, il en résulte que les Chinois sont peu portés à secourir un homme qui se trouve en danger de perdre la vie , parce qu'ils ont à craindre d’être soupçonnés de l'avoir tué; par exemple , qu'un homme soit subitement
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attaqué dans un chemin , d’un mal qui expose ses jours , qu'il Soit blessé dangereusement par une chute ou autrement , qu’il tombe dans l'eau, per- sonne ne s'empresse de le secourir ; c'est ce dont j'ai été témoin une fois au départ d’un bateau de passage, dont la voile en virant avoit jeté un Chi- nois dans l'eau ; aucun des assistans n’alla à son secours , les matelots même s’occupèrent plutôt à retirer de l’eau le bonnet de ce malheureux, qu'à le sauver lui-même ; mais par bonheur il parvint à saisir une corde et rentra dans la barque. C’est par un mal-entendu que M. Scott, médecin du lord Macartney , raconte qui rencontra à Macao des Chinois portant un de leurs camarades blessé, qui lui dirent qu'ils alloient l’enterrer quoique Fhomme vécût encore ; on n’enterre pas ainsi quelqu'un à la Chine, car on courroit le risque d’être étranglé.
Dans les circonstances importantes on fait donner jia question aux accusés, pour tirer d'eux ja vérité. Il y a deux questions, celle des mains et celle des pieds ; ja première se donne avec des bâtons ronds et gros d’un pouce, et de près d'un pied de long, ayant aux extrémités des trous dans lesquels on passe des cordes pour les rap- ‘procher , de sorte que les jointures des doigts peuvent se disloquer. Pour Ja gène des pieds on se sert de trois morceaux de bois, dont celui du
SUR LES CHINOIS. 121 milieu est fixe, les deux autres sont mobiles et joints au premier chacun par un crochet ; ils ont trois pieds de long sur six pouces de largeur avec des trous à l'extrémité opposée à celle où sont les crochets. On fait mettre les chevilles du patient entre ces morceaux de bois, et au moyen de cordes passées dans les trous, on serre avec tant de force que les chevilles. s’aplatissent.
Ces tortures sont très-douloureuses ; mais Îles Chinois ont des remèdes, soit pour amortir ja douleur , soit pour opérer ja guérison. J'ai vu à Quanton un marchand qui avoit subi la gène des pieds , il étoit très-vieux et marchoit assez bien.
、 PRISONS.
IL y a dans chaque ville principale des pro- vinces, des prisons environnées de hautes murailles avec des logemens pour les soldats. Les prison- niers peuvent se promener pendant ja journée dans de grandes cours , ou travailler pour s'en- tretenir et se nourrir, car ja portion de riz fournie par le gouvernement est fort petite; mais durant la nuit ils sont tous renfermés., les uns dans de grandes chambres, et les autres dans de petites cellules lorsqu'ils ont le moyen de les payer.
Les scélérats sont dans des prisons à part, et ne peuvent sortir ni parler à personne ;-ils por- tent suspendu au cou un morceau de bois, sur
了 2.2 OBSERVATIONS
lequel sont écrits leur nom, le genre de crime qu'ils ont commis, et leur sentence. On les étend pendant la nuit sur des planches en leur liant, avec de grosses chaînes de fer, les pieds , Îles mains et le corps. On les presse les uns contre les autres; et , pour qu'ils n'aient pas la facilité de remuer , on place encore par-dessus eux de grosses tables de bois. On les retire de là dans le jour, afin qu'ils puissent travailler et gagner de quoi vivre : aussi trouve-t-on dans les prisons des boutiques garnies de différens objets provenant du travail des prisonniers. II y a des tavernes avec des cuisiniers pour appréter à manger, et dans jes grandes prisons on en permet l'entrée aux mar- Chands , aux tailleurs et aux bouchers, pour le service des détenus. Avec de l'argent, les prison- niers coupables de fautes Iégères sont assez bien traités ; les criminels même peuvent obtenir quel- que adoucissement, mais non pour je temps de ja nuit, car les sofdats les veillent avec grand soin , de peur qu'ils ne s’échappent.
La prison des femmes est séparée de celle des hommes ; on ne parle aux premières qu'au tra- vers d’une grille, ou par le tour qui sert à leur passer la nourriture.
Lorsqu'un Chinoïs meurt en prison, son corps ne sort pas par ja porte ordinaire, mais par un trou pratiqué exprès dans la muraille ; aussi
f SUR LES CHINOIS. 123 lorsqu'un homme qui a quelque fortune ; ou qui appartient à une famille distinguée, se trouve très- malade en prison, ses parens tâchent d'obtenir ja permission de fen faire sortir, pour qu'il puisse mourir dehors et éviter de passer par ce trou, ‘ce qui est une chose si infamante, qu'un Chinois qui desire du mal à un autre, ne peut lui rien dire de plus offensant que de souhaiter que son corps passe par le trou.
DÉBITEURS; INTÉRÊT DE L'ARGENT; PRÉTEURS SUR GAGES.
LEs Chinois aiment l'argent avec passion ; je desir de s’en procurer jes jette dans toutes sortes d'entreprises ; et, malgré le haut intérêt de Far- gent à la Chine, ils ont recours très-souvent aux emprunts; aussi voit-on dans toutes les villes un grand nombre dé boutiques avec une inscription en gros caractères, annonçant une maison de prêt appelée en chinois Tang-pan.
L'intérêt s'élève depuis dix jusqu’à trente pour cent; ce dernier taux a lieu sur-tout dans Îles opérations de commerce ; il est de neuf et dix sur les maisons et les biens-fonds. Les étrangers à Quanton prêtent aux Chinois , à douze , dix- huit et même au-delà. L'intérêt de Pargent chez les preteurs sur gages, est de dix-huit pour cent. Tout particulier a la faculté de portêr des cfets :
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dans une maison de prêt; il donne son nom, ou le tait, si son crédit, sa place ou des raisons par- ticulières le forcent à demeurer inconnu. Les Tang- pan même sont plus ou moins renommés, suivant Jeur discrétion ; cependant lorsqu'ils ont quelques soupçons sur les personnes qui leur apportent des effets , ils les font suivre, ils épient leurs mouve- mens, et s’informent de leur état et de leur de- meure , pour les déclarer dans l'occasion au chef de ja police; mais cette surveillance n’a pas tou- jours lieu , parce qu’elle peut nuire aux intérêts des Preteurs,
Le Tang-pan après avoir estimé l'objet qu'on lui présente , et prêté dessus une somme qui est ordinairement le tiers de ja valeur, délivre à l’em- prunteur un billet numéroté , dans lequel il spécifie l'effet mis en gage, Festimation qu'il en a faite, l'argent qu'il a donné , le taux de l'intérêt et le terme de l'engagement. Quand le porteur vient reprendre son effet, il représente le billet et paie l'argent avec l'intérêt; ou bien, si cela convient aux deux parties, on balance le compte sur les- timation déjà faite de l'effet mis en dépôt. En re- cevant le billet numéroté , le prêteur sur gages n'examine pas si la personne qui le rapporte est; ou non, la même que celle à laquelle il Va dé- livré, parce que souvent celle qui a fait le dépôt ne veut paë se représenter ,, ou bien parce qu'elle
SUR LES CHINOIS. 12$ a cédé son titre à quelqu'un de ses créanciers. Si le gage n’est point retiré à l'expiration du terme fixé par la convention , l'effet reste entre les mains du Tang-pan, et le propriétaire perd tous ses droits.
On voit dans les faubourgs de Quanton une rue garnie de boutiques remplies de toutes sortes de vètemens : ces boutiques sont des Tang-pan où les Chinois vont engager ou louer des habits, Les Tang-pan renommés ne sont pas ordinaire- ment sur la rue , l'enseigne indique seulement la maison, dont les appartemens sont sur le der- rière, de manière que ceux qui sont obligés d’avoir recours aux prêteurs sur gages , ne craignent pas d’être vus ou d’être reconnus en entrant ou en sortant.
L'intérêt de l'argent étant très-élevé à [a Chine; il n’est pas étonnant d'y voir des particuliers qui doivent des sommes considérables ; mais il faut remarquer aussi que, par le même motif, les parties s'arrangent facilement. La [oi empèche d’ailleurs qu'on ne confonde les intérêts avec le capital, qui reste toujours distinct. Quant aux intérêts , leut quotité ne change pas quelle que soit l'ancienneté de ja dette, et le créancier qui voudroit stipujer d'autres conditions, seroit puni. |
Les accusations pour dettes étant réputées infamantes , les parens et les amis offrent leur
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médiation , et les parties s'accommodent sans beau coup de difficultés. Dans le cas contraire, le man- darin ordonne la saisie des biens , si le débiteur en a ; s’il n’en a pas , il est mis en prison et on lui accorde un délai au bout duquel, ,s ne satisfait pas, ilreçoit, suivant {a loi, la bastonnade ; alors le juge accorde encore un autre délai, après lequel, faute de paiement , on inflige une seconde bas- tonnade, et ainsi de suite. La crainte d’un pa- reil traitement oblige les débiteurs à chercher tous les moyens possibles pour se libérer envers leurs créanciers , et se soustraire au châtiment. 了 y en a même qui se donnent pour esclaves, lorsqu'ils n’ont pas d'autre moyen de sortir d'embarras. Si la loi est sévère contre celui qui ne paie pas, elle défend absolument aux particuliers d'employer ja violence pour obtenir Île remboursement d’une somme prèêtée : c'est Sexposer à quatre - vingts coups de bambou, que de se payer par ses mains; cependant les mandarins tolèrent certains moyens employés par [es Chinois pour tirer de Pargent de leurs débiteurs , lors du renouvellement de fannée. A cette époque les créanciers entrent dans les maisons de leurs débiteurs , crient de toutes leurs forces, ou s’établissent pour n’en sortir que lorsqu'ils ont été remboursés. Les Chinois redou- tent extrêmement de pareilles visites, parce que si, dans ces circonstances , il survenoïit quelque
SUR LES CHINOIS. 127 accident au créancier, ils auroïent à craindre que la justice ne. les soupéonnât d’avoir voulu attenter à sa vie.
Un Européen ayant à réclamer une forte somme d'un marchand de Quanton, qui le remettoit de jour en jour , l’attira chez lui, et le tint renfermé jusqu’à ce qu'il éût payé : ce moyen réussit, mais il est dangereux ; car il y a des Chinoïs capables de se pendre, et, dans ce cas, affaire devien- droit très-grave ; il faut, pour en agir de ja sorte, être bien sûr que le débiteur est attaché à la vie. Dans tous les cas, il n'est pas prudent d'employer ce moyen; le plus sage est de se plaindre aux mandarins, lorsque celui qui doit est du nombre des hannistes, parce qu’alors le juge ordonne aux autres marchands de se cotiser entre eux pour payer la dette. |
La dernière ressource des Chinois , lorsqu'ils me peuvent rien obtenir de leurs débiteurs par les voies dont j'ai déjà parlé, est de les menacer d’en- dever la porte de leur maison ou de leur boutique : c'est le plus grand malheur qui puisse arriver à un Chinois, de se trouver sans porte lors de ja nouvelle année; 过 se croit perdu pour toujours, Parce qu'alors rien ge peut plus s'opposer à l'en- trée des mauvais génies ; telles sont les idées su- perstitieuses des Chinois. On rira, sans doute, de cette puérile crédulité ; mais plût à Dieu qu’en
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Europe, les gens qui ne rougissent pas dem- prunter dans-le dessein de ne jamais rendre, eus- sent cette bizarre croyance! les créanciers auroïent du moins une dernière ressource , puisqu'ils n'ont pas, comme à la Chine, celle de la’ basténnade. Si cependant, comme on vient de‘le voir, les créanciers emploient différentes manières pour tirer de l'argent de leurs débiteurs , ceux - ci, de leur côté, imaginent toutés sôrtes de-moyens pour se dispenser de payer; mais , ne réussissant pas tou~ jours dans leurs stratagèmes, is prennent alors, pour se tirer dembarras le parti de mettre le feu à leur propre maison, expédient tout-à-fait étrange, et qui cependant a lieu assez souvent vers la frn
du dernier inois de l'année, Les débiteurs insolvables envers l'État ne sont pas traités moins sévèrement que les débiteurs envers des particuliers ; outre ja bastonnade , qui est la correction commune aux uns et aux autres:, ls sont envoyés en exil en Tartarie, et employés au’ service de l'empereur, dont ils deviennent fa ‘propriété. Cet usage reçu de maltraiter les gens -quine paient pas leurs dettes, rend-circonspects ceux qui veulent emprunter : chacun travaillé’ à se Jiquider, et l'on ne voit pas, comme ici, des hommes promenant hardiment le vol et Finfamie ; rire ef- frontément aux dépens de ceux qu'ils ont dupés. Si:les coutumes des Chinois ne sont pas toutes bonnes ;
SUR LES CHINOIS. 129 bonnes ; si leur manière de rendre la justice est un peu trop expéditive , on conviendra pourtant que sur l'article du prêt ils sont plus avancés que nous, puisque chez'eux les débiteurs infidèles sont punis ; et qu’au contraire chez nous, on en voit souvent qui sont reçus , accueillis, fètés même, au moins par des personnes capables de les imiter ; mais nous naurions pas Je spectacle de cette im- pudeur scandaleuse, si en Europe ceux qui s’ap- proprient ainsi l'argent des autres, recevoient une punition telle qu’on la donne à la Chine.
VOLEURS,
LES voleurs montrent beaucoup d’adresse dans l'exercice de leur métier ; ils joignent même quel- quefois fa force à l'adresse, mais rarement ja vio- lence, parce que tout voleur surpris les armes à Ia main, est condamné à être étranglé. C’est sur-tout à Quanton que l’on trouve un grand nombre de filoux ; ils ont même des chefs, que les Chinois savent trouver dans l’occasion , et par le moyen desquels on peut retrouver un objet perdu , en entrant en composition avec eux : c'est ce que jai vu moi-même.
Les voleurs de Quanton s'adressent de préfé- rence aux étrangers, êt parmi ceux-ci aux nou- veaux arrivés : ils sont ordinairement plusieurs ensemble , soit pour se passer de main en main
TOME Ill. I
130 OBSERVATIONS l'objet volé, soit pour barrer le chemin à ceux qui veulent les poursuivre; il est d’ailleurs diffcile de les saisir , Car du moment où l’on met la main sur leur habit, ils ouvrent les bras, abandonnent leur veste et s'échappent avec rapidité.
Un filou Chinois a soin de ne se mettre jamais du côté où il veut voler ; aussi les étrangers qui arrivent nouvellement d'Europe sont-ils toujours surpris de ne trouver personne en regardant du côté ou ils se sont sentis toucher; le voleur se tient du côté opposé ; il a l'air occupé de toute autre chose, et contrefait l'étonné lorsque l'étranger se retourne pour je regarder. Dans le cas cependant où, reconnoissant le filou , on se décide à courir après lui, et où l'on parvient à s’en saisir, le plus prudent est de le laisser aller tranquillement, après lui avoir repris ce qu’il avoit volé ; car les suites des voies de fait sont dangereuses à ja Chine , et l'on doit éviter avec soin les explications avec des juges ou des mandarins qui ne veulent pas entendre le plaignant, ou qui, persuadés de leur haute sagesse, regardent comme des barbares tous les hommes qui ne sont pas gouvernés par les mêmes lois qu'eux.
Ce que je viens de dire des voleurs Chinois ne montre que leur adresse pour dérober légèrement un mouchoir ou quelque autre effet de peu d'impor- tance ; mais voici quelques exemples des moyens
SUR LES CHINOIS. 131 qu'ils emploient lorsque l'adresse ne suffit pas. Des voleurs voyant un Européen monter les marches d’un petit pont qui est dans le faubourg de Quanton , et s'apercevant qu'il avoit de l'argent sur lui, l’un d’eux le saisit fortement par les bras, tandis que les autres fouillèrent dans ses poches. La chose fut exécutée si lestement, que les voleurs étoient déjà bien loin avant que l'étranger et ceux qui l’accompagnoiïent fussent revenus de leur sur- prise et eussent songé à se mettre en défense : ce- pendant le vol fut fait en plein jour, et celui qui fut volé étoit en état à lui seul de terrasser cinq ou six Chinois ; il est vrai qu'il aima mieux rire de l'évènement que de courir après les filoux.
Un autre moyen que les voleurs mettent en usage pour entrer dans jes maisons, c'est dy faire un trou par lequel ils s’introduisent, en prenant Ia précaution de mettre une petite chandelle /4) dans ouverture, pour retrouver leur chemin Jorsqu'if faut sortir. Un gros papier qui conserve le feu et qui s'allume en soufflant dessus, les dirige dans les chambres et leur fait apercevoir les différens objets qui sont bons à prendre. Une personne de ma connoissance , entendant du bruit chez elle pen- dant fa nuit, présuma qu’il étoit causé par des
(a) Ces chandelles sont faites avec de fa sciure de bois, et brûlent sans jeter de lumière.
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132 OBSERVATIONS voleurs : ayant décôuvert par hasard Îe trou par lequel les Chinoïs setoient introduits dans ja maiï- son, elle s’avisa d’en retirer [a petite chandelle, et de la mettre un peu plus loin en face de [a mu- raille , puis elle se plaça en embuscade avec ses domestiques , dont l’un se mit à faire du bruit ; aussitôt Îles voleurs coururent tête baissee pour passer par je trou; maïs s'étant frappés rudement contre le mur, ils tombèrent et furent arrêtés. Lorsque les voleurs sont assez adroits pour pé- nétrer dans les appartemens, ils brûlent, dit-on, des drogues, pour endormir plus profondément ceux qui y sont couchés : c'est ce que je ne puis assurer ; maïs je sais très-bien qu’ils entourent le lit de Ia personne endormie avec Îes chaises de l'appartement , de manière que, lorsqu'elle vient à se réveiller et qu’elle veut s’élancer de son lit, elle se trouve assez embarrassée pour que les voleurs aient le temps de s'évader. Ils se servent aussi de- chelles fort légères , composées de deux bamboux, avec des échelons de corde, qu'ils appuient sur les murs pour monter par Îles fenêtres Torsqu'ils les trouvent ouvertes. Un François à Macao fut ainsi volé, pendant son sommeil, de tout ce qu'il avoit : s'étant réveillé au bruit, il voulut se lever, maïs les voleurs eurent le temps de s’en aller ; ils le firent cependant avec une telle précipitation, qu’ils aban- donnérent leur échelie.
SUR LES CHINOIS. 133
Les voleurs dont je viens de parler sont des filoux adroits mais qui ne font pas de mal; ül y en a d’une autre espèce , qui sont plus redou- tables, parce qu'ils volent et souvent massacrent ceux qu'ils ont dépouillés : si on en arrête quel- ques-uns , ils sont condamnés à avoir la tête tran- chee. Lorsque j'étois à Macao , un grand nombre de ces scélérats infestoient les côtes ; ils prenoïent les bateaux qu’ils rencontroient à la mer, faisoient des descentes dans les villages et emportoient tout, après avoir tué ceux qui y étoient : ils s'emparèrent même d'un petit bâtiment Européen, et le brû- lèrent. I paroît, d’après les dernières nouvelles reçues de la Chine, que ces pirates existent encore.
PAUVRES.
ON rencontre beaucoup de pauvres dans les faubourgs de Quanton ; ils y étoient en si grand nombre , il y a quelques années, qu'ils remplis- soient une bonne partie des rues qui avoisinoient nos demeures. Ces malheureux, dénués de tout, se rassembloient je soir, et se pressoient les uns contre les autres pour se garantir du froid ; mais tous ne pouvant également être réchauffés, plu- sieurs mouroient, et leurs corps restoient exposés parmi les pièces de bois et fes pierres qui cou- vroient le quai. Révoltés d’un pareil spectacle, les marchands hannistes les firent enfin enlever ; et
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134 OBSERVATIONS
pour empêcher que notre quartier ne fût dans ja suite assaïlli par ces mendians , ils payèrent des soldats qu'ils placèrent à l'entrée des rues pour leur en interdire l'entrée.
La pauvreté se montre à ja Chine sous des dehors extrêmement hideux : on en aura l'idée en se représentant un mauvais petit bateau contenant une famille entière, composée du père, de la mère et de plusieurs enfans , à peine couverts de mé- chans lambeaux, et attestant par leurs figures tristes et décharnées Îes besoins les plus urgens. Ces malheureux n’ont d'autre occupation à Wam- pou que de ramasser sur la rivière les bouts de cordes et les bagatelles qui tombent des navires ; et ils périroient de faim si les matelots ne se pri- volent souvent d'une portion de leur nourriture pour la partager avec eux : aussi y en a-t-il beau- coup qui rodent sans cesse autour des bâtimens en demandant Faumone et recevant avec avidité tout ce qu'on leur donne.
Les mendians qu’on trouve dans les rues de Quanton font horreur à voir : quelques-uns ont perdu des doigts et même des membres, par Îa lèpre ou par suite de maladies. Hardis et insolens, ils vous importunent jusqu’à ce qu’ils aient obtenu quelque chose , et vont même jusqu’à vous saisir ja main. Pour s’en délivrer , le mieux est d'entrer dans une boutique , d’où on leur fait donner
SUR LES CHINOIS: 135
Paumône, l'usage étant qu'aussitôt qu’ils ont reçu la
moindre bagatelle en riz ou en argent, ils doivent ‘se retirer.
Plusieurs écrivains prétendent qu’à la Chine le gouvernement défend de mendier ; cependant les Chinois de Quanton ne m'ont jamais parlé de cette défense ; ils ont même l’habitude de faire de temps en temps quelques distributions en riz ou en argent, mais malheureusement ils les font trop médiocres. |
J'ai rencontré des mendians dans mon voyage, Soit sur les chemins, soit à l'approche des villes ; Huttner, dans sa relation , dit que les rues de Péking en sont remplies : cela peut être, car nous avons vu, en traversant ja capitale, bien des gens mal vêtus, et qui probablement auroient reçu vo- lontiers quelque aumône.
Les Anglois ajoutent que dans fa Tartarie ils ont rencontré des pauvres : il est à croire, en effet, que l'on doit en trouver dans un pays où les vivres ne sont pas en abondance ; cependant leur nombre ne peut être considérable , puisque le gouverne- ment ne les soulageant point et ne faisant que Îles tolérer, la disette et ja misère doivent nécessaire- ment en détruire la plus grande partie.
*
14
136 : OBSERVATIONS
RÉFLEXIONS sur une Carte de la Chine, au temps de 了 co donnée par M. Barrow ; et Considérations sur l'Empire, sur son étendue, sur sa formation en un seul corps ; enfin, sur ses liaisons avec les autres peuples.
M. BARROW, en publiant dans son ouvrage ‘une carte de ja Chine, sous l'empereur Yao , a adopté le sentiment de M. Amiot; mais, sans m'ar- rêter à prouver combien il est peu fondé, je vais donner un léger aperçu de ce qu’étoient les Chi- nois et leur empire à différentes époques, ce qui mettra le lecteur à même de prononcer sur je degré de certitude qu’on peut accorder à cette carte.
Les écrivains qui ont parlé de FPantiquité de ja Chine, s'accordent à dire que les premiers Chinois ‘étoient établis dans le Chen-sy , la province Ja plus occidentale de l'empire. Selon eux, Fo-hy /a), qui régna lan 2953 avant J. C., y ajouta le Honan et le Chan-tong. Chin-nong, qui transporta sa cour dans cette dernière province en 2822 , paroît avoir été le maître d'une partie du Petchely : enfin, Hoang-ty qui lui succéda en 2698 , étendit son empire depuis Pao-ting-fou, dans le Petchely, jusqu'au fleuve Kiang , et depuis les bords de la mer orientale jusque dans le Setchuen , à l'ouest.
(a) Histoire de ja Chine, du P. de Mailla, tome 1,97, pages 了 ee
suivantes.
SUR LES CHINOIS. 137 Cette étendue, et l'état florissant dont on suppose que ja Chine jouissoit alors, sont d'autant plus équivoques , que les Chinois eux-mêmes, ainsi que je l'ai dit dans ja première partie de cet ouvrage, regardent comme très - douteux tout ce qui pré- cède Yao, qui monta sur le trône l'an 2357 avant J.C.; et que plusieurs écrivains soutiennent que cette contrée étoit pour lors dans un état misé- rable , et presque entièrement couverte par les eaux, qui ne s'écoulèrent que postérieurement.
Il est donc difficile de croire que cet empire ait eu l'étendue que lui assigne le P. de Mailla, c’est- à-dire, quatre cents lieues de l’est à l'ouest, et six cents du nord au sud /a) ; que Yu, ministre de Yao, et qui lui succéda en 2205, ait été un ha- bile géomètre , connoïssant parfaitement l'art de niveler les terres et de creuser les canaux ; enfin, que ja description de [a Chine, faite par ce prince, et rapportée dans le chapitre du Chouking, intitulé Yu-kong , soit de ja plus grande justesse et con- forme à celle que les missionnaires ont donnée dans Îles derniers temps. Comment admettre que des travaux aussi considérables que ceux dont il est question dans ce.chapitre , aient pu être achevés en aussi peu de temps que le dit cet écrit! Com- ment supposer que les anciens Chinois , forcés de
{a) Cette dernière étendue est réduite à trois cents lieues par le mème auteur, Lettres édifiantes, pages $4et 110,
138 OBSERVATIONS
se retirer sur les montagnes pour se mettre à l'abri de l’inondation qui couvroit jes terres depuis long- temps , aient possédé des sciences profondes , lorsque leurs descendans sont si peu versés dans Ja géométrie! Enfin, comment se persuader que 2357 ans avant J. C., ils aient eu lhabileté qu'une expérience de plusieurs siècles n’a pu donner aux Chinois actuels !
Le chapitre Yu-kong, réputé comme composé par Yu lui-même, du temps de Ya0, est regardé par les écrivains Chinois comme l'ouvrage de ja dynastie des Hia ; postérieure à Yao, et même comme augmenté sous celle dés Chang, qui leur succédèrent en 1766 avant J. C.
IT est donc évident que les travaux décrits dans le Yu-kong, ne sont pas ceux de Yu lui-même, mais de princes postérieurs ou inconnus ; et que ja carte publiée par M. Barrow, d’après celle de M. Amiot, n’est pas celle de ja Chine sous Yao. Cet empire, en effet , auroit-il pu avoir alors une étendue aussi considérable, Puisqua une époque plus rapprochée, on voit que les provinces au sud du Kiang ne lui appartenoiïent pas et étoient oc- cupées par des barbares , ce dont il est facile de se convaincre en jetant les yeux sur une seconde carte donnée par M. Amiot/4), pour le temps des
(a) Mission, , tome I], page 287.
SUR LES CHINOIS. 139 Tcheou en 1122 avant J. C., c'est-à-dire, douze cents ans plus tard! Il est vrai que M. Amiot allègue pour raison de la différence qui existe entre ces deux cartes, le changement de dynastie qui eut lieu alors, prétendant que les peuples ne voulurent pas reconnoître le nouveau souverain , qu'ils se déclarèrent indépendans , et qu'ils res- tèrent dans cet état jusqu’à Tsin-chy-hoang-ty, en 246 avant J. C.; mais cette assertion n’est pas ad- missible, puisque le P. Ko, missionnaire Chinois, soutient au contraire que ie changement de dy- nastie ne produisit aucun mouvement, et n’opéra qu'une foible révolution.
Ji est donc hors de doute que lempire de ja Chine étoit alors peu de chose ; que la carte de ce pays, du temps de Yao,, a été amplifiée , et que les travaux de Yu ont été exagérés. Pour s’en persuader il suffit de lire le passage suivant :
< Jignore dit le P. Ko La) où plusieurs » Européens ont été chercher les fables qu’ils ont » débitées sur les levées , les digues et jes autres > travaux que fit faire Yu, pour contenir les fleuves > Hoang-ho et Kiang, travaux qui ne peuvent con- » venir qu’à un pays très-petit. Qu’on examine ce > qu'étoit la Chine à cette époque : pour pénétrer » d’un endroit à l’autre on étoit obligé de marcher
(a) Mission., tome L,°7, page 213.
140 OBSERVATIONS
» de hauteur en hauteur; il n’y avoit point de com- > munication, on élevoit des jalons pour se recon- > noître , et l'on donnoit des noms aux lieux à > mesure qu’on alloit en avant. Comment sup- > poser qu'on ait pu parcourir ainsi les neuf pro- > vinces dont il est fait mention dans le Yu-kong, » et comment croire à la description et à la fertilité > de plusieurs provinces qui n’ont été défrichées > que long-temps après’ La carte‘géographique de » Ja Chine, telle qu'elle est rapportée dans le Yu- » kong , auroit demandé beaucoup d'années pour » être dressée, et l'on sait que Yu ne fut occupé, » pendant treize ans, qu’à abattre des bois , à don- » ner ja chasse aux bêtes féroces, à faire défricher » les terres, enfin, à enseigner la culture et l'art » de préparer les alimens. »
Les réflexions du P. Ko ne donnent pas une haute idée de fa situation de la Chine dans ces temps anciens ; mais ce qui confirme son jugement, c'est que les monumens gardent absolument le silence sur la géographie de ce pays , postérieurement au règne de Yao, pendant les quatre cents ans que subsista la dynastie des Hia, et pendant les six cents ans de celle des Chang. Sans doute s’il avoit joui pendant cette période d’une certaine prospérité , il en resteroit encore quelque vestige ou quelque tradition authentique ; il paroît au contraire que la Chine étoit alors bien loin de cet état heureux que
SUR LES CHINOIS. 141 certains auteurs [ui ont gratuitement supposé, puisque les missionnaires /a) avouent eux-mêmes que les bois et les pâturages ne disparurent qu’au commencement de ja troisième dynastie, après l'an 1122 avant J. C. A ces raisons on peut en ajouter d'autres.
Il n’est parlé d'aucune ville sous Yao, ce qui est étonnant pour un empire représenté comme florissant. La fondation de ja plupart de celles qui existent , est postérieure au temps des Tsin, vers lan 2$0 avant J.C. ; on n’en comptoit que fort peu auparavant, et ce ne fut que 206 ans avant J.C., qu’on vit les principales étendre leurs enceintes.
La capitale , au commencement de fa troisième dynastie, en 1122 avant J. C., n’étoit composée que des gens de Fempereur, des ouvriers néces- saires et de quelques marchands. :
À la même époque, lors de l'expédition de Vou- vang , la plupart des provinces et celle du Chen-sy elle-même , étoient en partie occupées par des bar- bares, qui, après avoir aide ce prince dans ses con- quêtes , continuèrent leurs courses , et forcèrent même, en 770 avant J. C., l'empereur Ping-vang à quitter Sy-gan-fou pour se retirer à Lo-ye dans le Honan. Dans une disette arrivée en 1401, c'est- à-dire , neuf cents ans après Yao , l'empereur et ses
(a) Mission. , tome L.'T, pages 167$ et suivantes.
142 OBSERVATIONS :
sujets abandonnèrent les lieux où ils demeuroient pour se transporter ailleurs. Si la Chine, d’après cela, n’étoit que médiocrement peuplée Fan 1400 avant notre ère, et si elle étoit presque déserte en 626 avant J. C., lorsque les Scythes, sous ja con- duite de Madyès, firent pour la première fois une irruption dans la haute Asie , comment pouvoit- elle être dans un état si florissant à l'époque où Jon suppose que Yao fit sa carte !
La Chine, 800 ans avant JJ. C., n’étoit com- posée que du Honan, du Chan-sy , du Petchely, du Chan-tong et d’un petit canton du Chen-sy; le reste étoit possédé par des barbares, ce qui est vraisemblable , puisque beaucoup plus tard ces barbares existoient encore.
La province du Setchuen étoit occupée par des barbares qui ne furent soumis que vers l'an 206 avant J. C. /a). " ‘
Le Hou-kouang , connu sous le nom de royaume de Tsou, étoit gouverné en 891 avant notre ère, par un prince descendant des barbares du midi. Le philosophe Meng-tse, qui vivoit 336 ans avant J. C. , dit positivement que les habitans de Tsou étoient des barbares.
Le Quang-sy étoit ja demeure de hordes de sau- vages appelés Yue, et qui sont les ancêtres des
{a) Mémoires de l'Académie,
SUR LES CHINOIS. 143 Miao-sse existant encore dans les montagnes. Le plat pays ne fut soumis qu'en l'an 223 avant J. C.
Le Koey-tcheou et le Yunnan étoient habités par des barbares. Le Koey-tcheou fut conquis l'an. 206 avant J.C ; mais le Yunnan ne passa sous [a domination Chinoise que dans le septième et le huitième siècle de l’ère Chrétienne.
Le Kiang-nan étoit occupé par des peuples qui se coupoient les cheveux et se peignoïient le corps. Tay-pe, fils de Tay-vang, grand-père de Vou-vang, se retira chez eux et les civilisa. Cette nation de- vint dans la suite nombreuse et puissante; elle fonda le royaume de Ou, qui fut détruit en 473 par les Yue et les peuples de Tsou, et passa enfin aux Chinois vers l'an 250 avant J. C.
Le Kiang - sy, situé entre les peuples de Ou et de Tsou, et constamment je théâtre de leurs guerres , fut réuni à l'empire à la même époque.
Le Tchekiang habité par des barbares soumis aux Yue et aux peuples de Ou, fut subjugué vers le mème temps.
Le Fo-kien, séparé de l'empire Chinois par Île royaume de Ou, ne pouvoit lui appartenir: aussi cette province n'y fut-elle annexée que sous les Han, 206 ans avant J. C.
Le Quang-tong, peuplé par les Yue méridio- naux , fut réuni en partie sous les Tsin, 214 ans avant J. C. Ces barbares, qui possédoient une
1 44 OBSERVATIONS
grande portion de l'empire, ne se policèrent que peu-à-peu par le commerce qu’ils entretinrent avec les Chinois , et ne furent subjugués que sous ja dynastie des sin, mais non en totalité; car en 112 il en restoit encore qui ne furent soumis qu’en 109 avant J. C.
D'après cette description des provinces, qui fait voir qu'avant Chy-hoang-ty les barbares occu- poient une grande partie de [a Chine, on peut se figurer ce que pouvoit être l'empire , 2060 et même 2500 ans auparavant. Dès-lors cette situa- tion brillante , cette grandeur prétendue, dispa- roissent ; et sans émettre un jugement hasardé, on peut conclure que la carte de ja Chine attri- buée à Yao , se rapporte à des temps beaucoup plus rapprochés.
Mäis, si l'étendue de Fempire Chinois netoit pas telle qu’on a voulu ja représenter , la formation de lempire, ou plutôt la réunion de la Chine entière sous un seul et unique empereur , ne remonte pas non plus à des temps extrêmement reculés.
Plusieurs écrivains font commencer l'empire, 3000 ans avant notre ère. Suivant eux , Fo-hy régna l'an 2953, Chin-nong l'an 2838 , et Hoang-ty Jan 2698; mais le commencement du règne du premier de ces princes n’est nullement constaté, et ce qu'on rapporte de lui et de ses successeurs est incertain et rempli de fables. Les auteurs ne
sont
SUR LES CHINOIS. 145 sont pas d'accord sur ja durée de fa dynastie des: Hia, qui commença en 220$ avant J. C., et sur celle des Chang , qui commença en 1766. Les- Ha , suivant quelques-uns, subsistèrent pendant 471 ans; et selon d’autres, seulement pendant. 44o, et même 432 ans: de même les uns sup- posentque les Chang régnèrent 496 années, tandis" que les autres leur donnent 600 et 645$ années d'existence,
L'empire , à ces différentes époques, n’étoit com- posé que de quelques familles policées, vivant'au milieu des barbares, et errant suivant les circons- tances ; une preuve évidente, c'est que l'an 140%: avant J. C., c’est-à-dire, 1500 ans après la fonda- tion de l'empire, Poen-keng émïigre avec tout son. peuple, et donne pour raison qu'il suit en cela l'exemple de ses ancêtres. Plus tard, en 1122, Vou-vang quitte le Chen-sy, où il habitoit un très- petit pays ; et à fa tête de ses soldats et d’un certain nombre de barbares, il attaque l'empereur et le dé- fait entièrement. L'empire netoit donc que fort peu de chose, puisqu'il fut subjugué par les Tcheou, qui , d'après le propre discours de Tching-vang, successeur de Vou-vang, étoient foibles et peu re- doutables. Sous ses successeurs ja Chine étoit en partie occupée par des barbares, ou par les princes auxquels Vou-vang avoit donné des apanages après sa conquête en 1122. Ces différens princes ne
TOME III. K
146 OBSERVATIONS reconnoïissoient pas toujours l'empereur; plusieurs même d’entre eux refusèrent ensuite de je recon- noître ; tels furent les Tsin , qui, devenus les plus puissans d'entre ces vassaux, détruisirent les FTcheou, et fondèrent, l'an 25 $ avant J. C., la dynastie de leur nom, dont le quatrième empereur Chy-hoang- ty, anéantit entièrement tous les princes indépen- dans , et devint le seul maître de tout l'empire.
Parvenu à ce haut degré de puissance, et ayant réuni sous sa domination ce nombre considérable de principautés, dont les habitans avoient des coutumes et des usages différens, Chy-hoang-ty ne crut pas trouver de moyen plus sûr pour ôter à tous ces peuples le souvenir de leur première origine , et Les obliger à vivre sous une même loi, que de faire brûler, l'an 21 3 avant J.C., les livres, et principalement tous ceux qui traitoient de PHis- toire : événement remarquable, en ce qu’il fait con- noître l’état de la Chine avant cette époque, et qu’il prouve que Fempire ne fut réuni que vers ce même temps.
Mais, si la Chine ne fit qu'un seul corps de nation sous Chy-hoang-ty , elle ne tarda pas à être divisée; les peuples se soulevèrent contre Îe suc- _cesseur de ce prince , et élurent des rois particu- liers /a), qui subsistèrent jusqu’en 202 avantJ.C.,
(a) Histoire des Huns, some 了
SUR LES CHINOIS. 147 que Kao+y, fondateur des Han, subjugua tous ces petits États, et rétablit le calme dans l'empire.
Cette dynastie, appelée d'abord Han occiden- taux, prit ensuite le nom de Han orientaux, ,fors- qu'en lan 25 après J. C., Kuang-vou-ty se trans- porta dans le Honan, où elle subsista jusqu’à sa destruction , arrivée en 220 , époque à laquelle l'empire fut partagé en San-koue /rrois royaumes], gouvernés par trois dynasties différentes, celle des Han de fa province de Cho , qui régna pendant quarante-trois ans dans Île Setchuen et le Chensy ; celle des Oey, qui régna pendant quarante - cinq ans dans ja partie septentrionale de Ia Chine ; et celle des Ou, qui, après avoir passé du Honan dans le Kiang-nan , se fixa à Nanking , et régna pendant cinquante-neuf ans sur [es provinces mé- ridionales.
Vou-ty ayant anéanti ces trois royaumes et les familles qui y régnoient, fonda la dynastie des Tsin occidentaux l'an 265 de J. C.; et Yuen-ty, en 317, celle des Tsin orientaux ; mais ces princes ne possédèrent pas long-temps seuls toute [a Chine: sous leur règne plusieurs provinces se soulevèrent, et après la destruction des Tsin en 420, tout le pays fut rempli de troubles, qui donnèrent naissance à deux empires, Pun du nord, et l'autre du sud.
L'empire du nord fut presque toujours occupé par les Oey ou Tartares Topa.
K 2
148 OBSERVATIONS
Les Yuen-oey / premiers Oey ] régnèrent dans le Chan-sy et le Honan, depuis l'an 386 de J. C. jusqu'en 534. Ces souverains furent puissans et partagèrent l'empire avec les Song.
Les Tong-oey / Oey orieñtaux] régnèrent dans le Honan depuis lannée $34 jusqu’en yo,et furent remplacés par la famille des Pe-tsy, qui occupa je trône depuis l'an 和 yo jusqu’à l'année 578. |
Les Sy-oey / Oey occidentaux] régnèrent dans le Chen-sy, depuis lan 535 jusqu'à Pan 556, et fu- rent remplacés par les Heou-tcheou /7 cheou-posté- rieurs], descendans des Tartares Sien-py, qui existèrent depuis l'an 557 jusqu’à lan 581.
L'empire du sud fut gouverné depuis l'année 420 de J. C., jusqu'en Fan 479 , par la dynasties des Song, qui fut suivie, en 479, par celle des Tsy; en $02, par celle des Leang ; et en 557, par celle des Tchin , qui dura trente-deux ans : les princes de ces différentes familles tinrent leur cour. à Nanking.
_ Ven+y, fondateur des Souy en 581 après J.C., mit fin à l'empire du nord et à celui du midi, et n’en forma plus qu’un seul. Cette dynastie ne sub- sista que trente-huit ans, et fut remplacée par celle des Tang en Pan 618. Ces princes s’établirent à Sy-gan-fou, dans le Chen-sy, et régnèrent pen- dant deux cent neuf ans; mais vers la fin de leur
SUR LES CHINOIS. 149 gouvernement , des troubles agitèrent de nouveau la Chine, les Tartares Ky-tan la désolèrent, tandis que plusieurs princes formèrent des souverainetés particulières dans différentes provinces ; aussi l'em- pire fut - il réduit à très - peu de chose sous les Heou-ou-tay //es cinq familles postérieures] ; savoir : les Heou -leang , qui régnèrent en 907 après J. C.; les Heou-tang en 923; les Heou-tsin en 936; les Heou-han en 947; etles Heou-tcheou qui commencèrent en 9$1, et s'éteignirent en 959.
À cette époque les troubles cessent, Tay-tsou fonde [a dynastie des Song en 960; mais les deux nations Tartares des Ky-tan et des Kin , ou Niu- tche , et les rois de Hia, restent maîtres de ja partie septentrionale de fa Chine.
En 1127, les Kin ayant détruit les Ky-taif , et s'étant emparés d’une partie du nord de la Chine et de Kay-fong-fou, les Song furent obligés da- bandonner cette ville et de transporter le siége de Fempire à Lin-gan, aujourd’hui Hang-tcheou-fou, dans le Tchekiang , où ils restèrent jusqu’à leur destruction par les Yuen ou Mogols , appelés en Chinois Mong-kou.
Les Song s'étant adressés à ces conquérans, pour obtenir leur appui contre les Kin, et labo- lition du tribut qu’ils leur payoïent , les Mogols déclarèrent la guerre aux Kin, et, les ayant vaincus en 1235 après J. C., ds finirent par anéantir les
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150 OBSERVATIONS
Song eux-mêmes en 1260, ce qui rendit Kublay- khan, descendant du fameux Genghiz - khan, le maître absolu de toute Ia Chine.
Depuis l'établissement de la dynastie des Mo- gols , l'empire na plus été divisé, mais le trône a passé successivement à des princes de divers pays. Lan 1368 de J. C., la dynastie Chinoise des Ming chassa les Yuen, et fut à son tour dé- possédée en 1644, par les Tartares Mantchoux descendans des 人 in ou Niu-tche, qui occupent Île trône présentement.
D'après l’esquisse rapide que je viens de donner des révolutions de la Chine , on voit que cette contrée , Join d’être, à une époque très-reculée, un vaste empire gouverné par un empereur, ne forma un Seujl corps que vers l'an 220 avant J. C.; que bientôt après, livrée aux troubles et divisée de nou- veau , elle ne fut réunie que passagèrement dans Ja suite sous différens princes ; enfin, que ce n’est que depuis lan 1279 après J. C., c’est-à-dire, ïl y a cinq cent vingt-neuf ans qu’elle ne compose qu'une seule et unique monarchie.
C’est donc à tort qu’on a voulu représenter la Chine comme un pays privilégié, gouverné depuis un temps immémorial par la même constitution, exempt des troubles et des guerres qui ont ren- versé tant d’empires. La seule différence qui existe entre elle et tantd’autres États qui ont disparu de
SUR LES CHINOIS. 1S1 dessus ja terre ; c'est que, placée à l'extrémité du globe, et par conséquent peu exposée au flux et au reflux de ces nations conquérantes qui ont entraîné tout avec elles, et ont changé, si cela se peut dire, la face des peuples, elle